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La filière auto européenne en soins intensifs

Muriel Blancheton
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Jean-Louis Pech

Affaiblie par les coups de boutoir répétés d’une concurrence désinhibée et par une politique locale insuffisamment protectrice, l’industrie automobile européenne est gravement malade, prévient la Fiev. Gangrénée structurellement et conjoncturellement, la filière est fragilisée à un tel point que le plan d’action de Bruxelles semble bien insuffisant pour la remettre sur pied. 

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La Fédération des Industries des Équipementiers pour Véhicules* sonne l’alerte ! L’état de santé de la filière automobile en Europe est alarmant et même son propre protocole d’urgence n’est pas certain d’agir efficacement. Pourtant, les symptômes ne sont pas nouveaux. Cela fait même des années que les équipementiers alertent sur leur état dégradé. On peut citer la crise financière de 2008 et le Covid-19 en 2020 bien sûr, mais n’oublions pas le “dieselgate“ de 2015, éclaboussant Volkswagen et pas mal de constructeurs autour, précipitant Bruxelles dans un tour de vis réglementaire 100 % électrique et surtout à sens unique ! Cette transition forcée – et plus largement la poussée technologique des véhicules – jette encore les équipementiers dans des investissements à plusieurs milliards d’euros pour changer leur outil industriel. Et rappelons que ces fournisseurs, toujours à l’origine de 85 % du prix de revient d’un véhicule, sont priés de muter industriellement, technologiquement et socialement, bien avant 2035.
*FIEV : 130 groupes d’entreprises et 300 sociétés adhérentes

 

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Usine Faurecia

Alourdis par ces investissements non digérés, 42 % des 120 fournisseurs européens sondés par le Clepa et McKinsey prévoient déjà d’être non-rentables en 2025, 63 % ont une vision négative de l’avenir et 57 % disent subir une pression croissante des importations chinoises. 

Cet autre sondage Fiev/Clifa (équipementiers et fournisseurs de services…) n’est pas plus optimiste :

•    Plus de 70 % considèrent ainsi qu'une partie de leur production en France et en Europe est menacée et 55 % ont déjà identifié un risque de “dessourcing“ (ne pas être sélectionné) par des constructeurs préférant s’adresser à de concurrents basés dans les pays à bas coûts. 
•    78 % des équipementiers ont vu leur CA diminuer.
•    Sur 221 équipementiers sondés, seuls 17 % se situaient en 2023 au-dessus des 10 % minimum requis d’après le ratio EBE/CA (excédent brut d’exploitation/chiffre d’affaires) pour pouvoir financer leurs emprunts, la R&D, leurs investissements… et 60 % sont bloqués sous les 5 %, « ce qui signifie que ces derniers sont dans une situation grave, avec des banques qui ne suivent plus », assène Jean-Louis Pech.

En France, entre 2024 et le premier trimestre 2025, 7 300 emplois ont été supprimés ou sont menacés par des restructurations ou fermetures de sites. En 18 ans, la filière française a perdu 51 % de ses effectifs, soit 56 000 emplois actuellement, contre 114 000 en 2007 (le CA France est de 16 Md€ en 2024).  
C’est également sans compter la chute des volumes de production OE. Sur 90 millions de VL fabriqués en 2024 dans le monde, la part de la production européenne est de 9,1 %. Elle était de 20 % en 2005… En France, la production est tombée à 1,36 million de véhicules en 2024, soit 1,5 %, et un effondrement de 63 % depuis 2002… et de 38 % depuis 2020 ! 

Il faut sortir de cette naïveté européenne qui nous fait perdre en attractivité et compétitivité !

Un dossier surinfecté par des virus externes...

Car interviennent actuellement des facteurs anxiogènes surinfectant des plaies déjà béantes : la Chine, en stratégie de conquête permanente, achète de la part de marché à tout-va et s’est mise en ordre de bataille ; l’inflation a élargi le décalage compétitif avec l'Asie, dont la Chine avec un écart de 25 points ; Donald tétanise les bourses et le monde entier en plaquant 25 % de droits de douane supplémentaires sur les véhicules importés aux États-Unis… Et l’Europe s’enfonce un peu plus dans l’expectative naïve d’un soubresaut général de 28 pays non fédérés. « Il est grand temps de se réveiller pour sortir de ce marasme ! Si l’industrie européenne a traversé les chocs de 2008 et 2020 tant bien que mal, elle ne récupérera plus jamais ce qu’elle a perdu. La dégradation est continue. Il faut sortir de cette naïveté européenne qui nous fait perdre en attractivité et compétitivité », lance Jean-Louis Pech. Pour le président de la Fiev, le patient Automobile est malade par l’absence de tactiques de la part des politiques. La flexibilité annoncée sur trois ans pour atteindre l’objectif de 2025 prévu par la réglementation CAFE et l'anticipation de la préparation de la discussion sur la clause de révision ne sont que des pansements sur une jambe de bois. Le plan européen ne répond pas à l’urgence de la situation et « le bord du gouffre se rapproche dangereusement ».

… et sauver le soldat français

Au milieu du champs de bataille européen, la France a « dérapé en termes de coûts, taxes et compétitivité ». Le pays se retrouve dans une situation compliquée voire « catastrophique car nous sommes loin des moyennes européennes », estime Jean-Louis Pech. Ce dernier réclame des « actions spécifiques pour combler notre déficit de compétitivité »

Dans ses préconisations, la décarbonation du transport routier en soutenant la vente de véhicules électriques, le soutien à la fabrication de batteries en Europe… mais également l’allègement des prélèvements obligatoires sur les salaires et les impôts de production, toujours les plus élevés (4,5 % du PIB) que dans la moyenne européenne (2,4 % du PIB) ou comparés à l’Allemagne (0,9 % du PIB). 

Sans occulter les 3400 Md€ de dettes françaises, Jean-Louis Pech regrette ces taxes qui empêchent l’industrie française de se relever et « qui risque bien de disparaître à jamais. Désindustrialiser coûtera très cher et à tous les niveaux, signale le président. L’industrie automobile est au bord du gouffre. Les pouvoirs publics européens et français ne doivent pas être ses fossoyeurs et doivent agir rapidement pour ne pas briser la colonne vertébrale de nos territoires et celle de notre souveraineté. » 
Reste à savoir si la parole de la fédération, avec ses éléments rendus publics cette semaine, aura l’écoute de Bruxelles. Le contexte actuel rend difficile la prise de décision structurelle des politiques, qui ne font pas forcément preuve d’agilité et de courage. À moins que ce même contexte économique actuel au niveau mondial n’incite l’Europe à enfin écouter ses entreprises et à montrer ses muscles….

Muriel Blancheton
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