Luc Chatel dit stop au « carbashing »
Le Paris Automotive Summit 2022 aura été l’occasion pour le président de la Plateforme Automobile de clamer la résilience de la filière auto pour se brancher au courant électrique, tout en soulignant les risques d’un tel engagement unilatéralement décidé par Bruxelles.
Sans savoir si le Mondial de l’Auto serait un succès cette année (400 000 visiteurs sur 6 jours pour le grand public dans le dernier décompte), officiellement déserté par des constructeurs européens qui n’avaient pas grand-chose à proposer contrairement aux marques asiatiques, Luc Chatel a joué son rôle. Celui de l’ardent et fervent défenseur d’une automobile brinquebalée par une crise sanitaire, une guerre, une inflation/récession ou encore des coûts énergétiques anxiogènes. Au beau milieu de ce scénario catastrophe trop long, l’industrie automobile cherche à se transformer, muter et s’adapter, bon gré, mal gré. En moins de quatre ans, elle a démultiplié la production de véhicules électriques. Un million de VE roulent aujourd’hui sur le territoire. Et Emmanuel Macron a annoncé la production de deux millions de VE en 2030. « Même si cette unique solution n’était pas celle préconisée par la filière », rappelle Luc Chatel. Celle-ci a renversé la vapeur en diminuant de 50 % ses émissions de CO2, par dix les particules, par six l’azote).
Inquiétudes sociales
« Nous serons toujours exemplaires, mais le serons-nous encore dans un temps de plus en plus court et avec de telles conséquences sociales et industrielles ? », s’est interrogé Luc Chatel. Car en englobant l’amont et l’aval, on parle en effet d’un laminage de 450 000 emplois supprimés avec le basculement à terme de la production sur du tout-électrique – ne nécessitant plus que trois ouvriers contre cinq pour un thermique – et l’impact sur les métiers du commerce et de la réparation. « Nous sommes déjà passés de 450 000 à 350 000 emplois en cinq ans, et 65 000 postes devraient être effacés prochainement. Il est urgent de former aux nouveaux métiers et d’accompagner les autres. »
Ensuite, le président de la PFA a repositionné son discours sur l’acceptation psychologique d’un véhicule électrique, dont le prix reste inabordable pour les foyers. L’écart varie de 20 000 € pour les petits modèles urbains type ZOE ou Leaf jusqu’à 90 000 € pour une berline comme Tesla. Au beau milieu se situent des marques comme le Vietnamien VinFast avec son premier modèle à 45 000 € (sans compter 120 € par mois la location de sa batterie). « Le VE ne doit pas être un produit de luxe ! Le passage au VE ne doit pas se faire sur un marché à deux vitesses. La filière et les pouvoirs publics doivent compenser cet écart pour le rendre accessible. »
Souveraineté industrielle et guerre de l’extraction
Enfin, la souveraineté industrielle « abandonnée cet été, une première dans l’histoire ! », a souligné Luc Chatel, ne doit pas être vécue comme un désarmement de l’outil industriel européen face à la Chine. Un discours concordant avec celui de Bruno Le Maire sur la même scène du Paris Automotive Summit, voire accentué par Emmanuel Macron le 26 octobre qui a martelé la nécessité d'un European Buying Act, à l'instar des Etats-Unis.
Lire Bruno Le Maire appelle à la reconquête industrielle européenne et française
Créer une nouvelle chaîne de valeur avec le véhicule électrique, faire sortir de terre des gigafactories (trois à venir), investir dans l’électronique de puissance, la pile à combustible, l’hydrogène vert… Tout reste encore à construire, mais vite ! D’après AlixPartners, 503 Md€ doivent être investis à l’échelle mondiale par les constructeurs et les équipementiers d’ici 2026 pour basculer dans l’électrique. Pour faire partie de l’aventure, les Européens et les Français en particulier doivent être compétitifs et surtout être soutenus par une baisse des impôts de production, le maintien du crédit impôt recherche et celui des AFR (zones d’aides à finalité régionale pour les entreprises)… Enfin, Luc Chatel a martelé combien l’électricité décarbonée est un atout. « Et la France possède cet atout ! Nous entrons dorénavant dans une prochaine guerre, celle de l’extraction. Il faut mettre en œuvre une vraie filière dédiée. Cette accélération en continu lèvent bien des inquiétudes, et c’est normal, mais elle génère aussi bien des opportunités. N’oublions pas que malgré toutes ces turbulences, nous sommes toujours debout. »
Verbatim Luca de Meo, CEO de Renault
- La voiture n’est pas qu’un tas de ferraille.
- L’industrie auto a toujours poussé les progrès sociaux, économiques et industriels.
- Nous sommes dans l’ouverture, plus que certains ne le pensent.
- Il faut être efficace dans un environnement volatil.
- Nous avons investi des milliards dans la batterie et les usines. Nous devons nouer des co-partenariats. Avoir une approche horizontale.
- Être leader, ce n’est pas seulement être le premier, mais être capable d’embarquer tout le monde dans son écosystème.
- L’automobile à venir sera remplie de défis.
Verbatim de Christophe Perillat, CEO de Valeo
- J’entends souvent des voix négatives dire que les véhicules électriques sont trop chers, qu’il n’y a pas assez d’électricité ni de matières premières, nous sommes trop dépendants de l’Asie… Oui, cette transition est difficile mais elle est nécessaire. Pourquoi devons-nous le faire ? Parce que nous devons décarboner ! Le transport routier, c’est 18 % des émissions de C02.
- La R&D est majeure chez Valeo (40 % en France), nous devons être acteur de cette transformation. Nous devons être les plus rapides. Cette transformation est darwinienne, c’est une question de survie. Il y a ceux qui seront prêts et les autres ! Et pour certains, c’est déjà trop tard.
- Les dix prochaines années sont cruciales. Nous devons acceptons les turbulences à venir.
- Les ruptures d’appros vont continuer, l’inflation va durer, soyons agiles, courageux et ensemble.
- Valeo veut atteindre la neutralité carbone en 2050, avec 45 % de moins déjà en 2030 dans nos usines, chez nos fournisseurs. Nous devons trouver toutes les solutions pour moins consommer nos ressources (produits remanufacturés multipliés par deux en 2030…). Imaginez ce que cela suggère pour un groupe industriel comme Valeo !
- Certains équipementiers vont mourir malheureusement. Nous ne sommes plus dans le Kaizen en amélioration continue. L’électrification est là depuis longtemps, sauf qu’elle accélère.
Verbatim de Carlos Tavares, CEO de Stellantis
- Le statu quo est obsolète.
- Le pragmatique doit dépasser le dogmatique.
- Nous sommes une seule et unique entreprise. Aucun spin off n’est prévu.
- En France, nous comptons sept sites de composants et cinq d’assemblage (600 000 véhicules produits en 2021). Douze modèles de véhicules électriques y seront produits d’ici 2035.
- Nous serons en Carbon Net Zero d’ici 2038, soit avant nos concurrents.
- Le changement climatique est dangereux pour tout le monde. Et ce qui est dangereux n’est pas bon pour mes affaires.
- Entre la France et l’Europe, il faut chercher la réciprocité et avoir les mêmes conditions que le reste du monde, avec des produits étrangers. Il faut faire attention à ces déséquilibres.
- Un véhicule électrique est entre 20 et 40 % plus cher qu’un thermique, il faut booster la productivité pour baisser les tarifs.
- Les crises se succèdent depuis douze ans. D’autres crises vont venir, c’est statistiquement évident. Mais aujourd’hui, nous sommes formés et aguerris.
- Il faudra encore un à deux ans pour surmonter la crise des semiconducteurs.