[Atlas] Etude Roland Berger : Les alliances grandissent, les relations durcissent

Muriel Blancheton
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En partant de l’étude prospective établie par Roland Berger (voir ci-dessous), Matthieu Simon, associé, élargi le champ du projecteur : y a-t-il vraiment un gagnant ? La pièce est-elle toujours sécurisante ? La dépendance des fournisseurs en IAM peut-elle prendre fin ?

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Quel scénario peut vraiment prendre la main ?

Matthieu Simon : Les quatre peuvent tous cohabiter. Dans le scénario 2 par exemple, les constructeurs incorporent à leurs leviers traditionnels (extension de garantie…) l’électrification et la connectivité, qui est obsessionnelle chez eux (car liée à la data), mais surtout multiplient leurs offres de leasing jusqu’aux dix ans du véhicule, avec des forfaits mensuels très fidélisants (entretien, financement, assurance…). L’aftermarket deviendra une mensualité et les constructeurs capteront ainsi 100 % de la part de marché. Ensuite, et c’est là où les « méta-alliances » du scénario 3 s’intercalent, les marques peuvent maintenir des coûts acceptables sur des véhicules de plus de quatre ans dans leurs réseaux primaires, en créant des ouvertures avec des partenaires indépendants pour la logistique par exemple.

2021, année aussi horribilis que 2020 ?

M.S. : Bien qu’il y ait eu une vraie période de rebond cette année, le Covid tempère toujours les ardeurs et il ne faut pas parler d’année exceptionnelle. Le parc circulant est resté sensiblement le même qu’en 2019, mais il a légèrement vieilli. Le kilométrage parcouru a chuté de 15 % du fait de la fiabilité du parc. Les ventes se sont bien tenues mais la production a diminué et a mécaniquement fait baisser les stocks résiduels. C’est financièrement intéressant dans un univers où ces stocks sont légion (constructeurs, équipementiers et distributeurs PR). Mais ce sont bien ces empilements de marges qui devraient faire le lit des « barbares » de notre scénario 4.

La pièce toujours au cœur de tous les enjeux : Les scenarios

  • La pandémie et les pénuries ne réduiront pas à néant le juteux marché de la pièce de rechange : 90 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020 dans l’Union européenne (- 13 %) en pleine crise sanitaire, certes, mais une remise à niveau dès 2022, d’après le cabinet Roland Berger qui conclut par quatre scénarios possibles d’évolution, entre disruption par de nouveaux arrivants et statu quo…
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  • Le marché de la pièce est bataillé depuis toujours avec une nette domination de l’IAM (66%), soutenu par un parc vieillissant. La riposte encore classique des constructeurs (contrats d’entretien, digitalisation, électrification, réseaux multimarques…) se heurte à des réseaux indépendants consolidés et agressifs. L’IAM devrait atteindre sans difficultés les 70% de parts de marché en 2030.
  • Dès 2022, le jeu reprend en après-vente en particulier sur les réparations techniques à plus forte valeur ajoutée, surtout le chiffre d’affaires (+1,5% sur 2019/ 2025 et +2% entre 2025 et 2030), souligne une hausse des prix (effet du mix sur des produits plus technologique (hors inflation). La connectivité, l’électrification et le transfert des usages vers de nouvelles mobilités n’auront d’impacts réels qu’après 2030.
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  • Levier de démarcation et ouverture pour les constructeurs chinois, le véhicule électrique va contribuer à redessiner le contour d’un paysage aftermarket déjà en mutation. Les nouveaux arrivants, la contre-riposte de la rechange indépendante avec le recyclage des batteries, les constructeurs s’intéressant à l’après-vente multimarque, font bouger le curseur.
  • Quatre possibilités se dégagent. L’IAM gagne la partie avec un Top 10 européen réalisant 20 % du CA global. L’OEM contre-attaque via le levier technologique ou l’usage et reprend 50 % du marché. Des méta-alliances se nouent entre OEM et IAM. Enfin, les « barbares » attaquent (Amazon, Alibaba…) des digitaux natifs sur le qui-vive pour se déverser sur la pièce IAM
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Comment a évolué la relation distributeurs/équipementiers cette année ?

M.S. : Elle est déjà structurellement tendue, mais la conjoncture ajoute de la tension. Nous sommes dans un schéma d’alliances, mais aussi de relations durcies. Les groupes internationaux tels que LKQ imposent des réductions annuelles de 5 % sur les mêmes pièces. Ce niveau de pression est devenu difficilement vivable sur le long terme. Surtout pour les fournisseurs extrêmement dépendants de l’aftermarket (+ 60 % de leurs marges pour certains). Du coup, ils dealent avec les « barbares » mais ce sont des plans à court terme. D’où les alliances entre fournisseurs pour avoir un pouvoir de négociation plus fort. Ils peuvent aussi contourner la ligne en allant chercher directement le client réparateur.

Avec quels leviers ?

M.S. : En créant leurs marketplace BtoB. Ils intègrent ainsi leurs propres pièces, pourraient s’allier avec d’autres fournisseurs pour étoffer le catalogue en équipements de garage ou d’autres types de pièces qui ne rentrent pas en conflit avec les leurs. Et ils intègreraient le diagnostic, nerf de la guerre du futur. Reste à livrer dans les temps ! Un savoir-faire dominé par les distributeurs pour l’instant, qui sont capables de livrer en H+4 voire en H+2 jusqu’à six fois par jour…

Cette consolidation est-elle une réponse face à des groupements devenus mastodontes ?

M. S. : Ces rapprochements vont en réalité bien au-delà du besoin de répondre à une après-vente elle-même consolidée. Ce sont des réponses stratégiques face à un véhicule qui s’est extrêmement complexifié et nécessite des investissements OE importants. C’est le cas typique de Faurecia avec Clarion et Hella par exemple. Ils ont de tels besoins d’investir sur des territoires comme l’hydrogène, le cockpit du futur, la connectivité… le seul moyen est de s’allier pour être présent dans ces domaines et basculer en tant que systémier. Ces mouvements de concentrations sont encore loin d’être achevés. L’après-vente est un avantage collatéral qui vient s’agréger. Il suffit de regarder le rachat de FCA avec Mopar, par PSA à l’époque. La marque Mopar était déjà bien avancée en après-vente indépendante en Europe, ce qui a aidé le groupe Stellantis par la suite.

Dans le contexte actuel, est-ce rationnel de penser à des relocalisations ?

M. S. : Est-ce souhaitable ? Oui. Nous avons perdu en Europe une bonne partie de nos industries au sens large. Fait-il créer un terrain fertile (technologique et financier) ? Oui. Il faut aider les entreprises (usinage, fonderies…) à passer la transition et trouver de nouveaux clients, dans les nouvelles énergies, l’aérospatial, les télécoms… Il faut travailler sur l’industrie du futur en fléchant les aides vers les secteurs comme l’hydrogène en tant que filière avec en complément les startups/ entreprises qui créent des solutions compétitives adéquates en Europe.

Cette re-régionalisation industrielle couteuse n’est-elle pas schizophrénique après des décennies d’investissements en Asie ?

M. S. : C’est un phénomène structurel et géopolitique. Cette régionalisation est poussée par le phénomène du Covid, avec des besoins locaux pour sécuriser ses approvisionnements et ses profits, et un fret qui explose. Cela vaut pour tous les domaines et l’automobile en particulier. Et les constructeurs et les équipementiers n’ont pas complètement gagné le pari de la Chine sur le véhicule, hors marques ultra premium.

Muriel Blancheton

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