[Atlas Europe] Damien Germès, NGK Spark Plug : " Nous sommes définitivement en train de muter"

Muriel Blancheton
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Comment avez-vous traversé cette année si particulière ?

Damien Germès : Nous avons démarré l’année fiscale chez NGK en avril, donc en plein Covid, avec des usines constructeurs fermées en Europe et un business Première Monte stoppé net. Un effondrement de ce côté que personne n’a pu anticiper. Nous avons géré l’éloignement géographique de nos sites de production, basés en Asie (Japon et Thaïlande), et leurs fermetures qui a impacté notre site européen allemand sur la période de mars à juillet, puisque nous travaillons en flux tendu. Car si une usine se ferme rapidement, sa réouverture est plus longue. Nous nous sommes adapté à cette inertie naturelle, et nous avons utilisé le transport aérien – plus coûteux – pour la marchandise. Nous avons terminé 2019 avec un CA de 3,4 Mds€ sur une année fiscale clôturée fin mars. Sur 2020 et avec ce décalage jusqu’en mars 2021, nous prévoyons un CA en baisse de 2,1%, ce qui est un moindre mal rapporté à la situation traversée.

Quelle analyse tirez-vous de cette situation inédite ? Quels impacts dans votre structure ?

D. G : Le nerf de la guerre reste la disponibilité en rechange. Donc, ceux qui ont pu gérer cette crise via des stocks tampons ont pu tirer leur épingle du jeu. C’est pourquoi nous travaillons sur ce sujet dès à présent afin de pallier à toute carence éventuelle dans la chaîne logistique. C’est devenu un projet à l’échelle mondiale. Il faut évaluer les niveaux de stocks par zone. Cette analyse change nos mentalités et nos modèles car nous partons du principe qu’une autre pandémie peut revenir, couplée avec une demande des clients (OE et IAM) volatils. Nous devons donc trouver des solutions agiles et flexibles. Il n’est pas question de sur-stockage, mais d’efficacité sur les gammes et les références stockées, car cela génère des coûts d’immobilisation importants. Nous devons être très précis. C’est une équation complexe et paradoxale. L’exercice nous contraint à réduire les niveaux de stocks, tout en étant capable de répondre immédiatement à une demande toujours plus volatil !

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Le digital peut-il être une solution pour se connecter aux distributeurs et répondre plus précisément à leurs demandes de proximité ?

D. G : Cette connexion existe déjà en OE, car les commandes des constructeurs sont prévus à l’avance, selon leurs lignes de production. Elle est plus difficile en rechange. Les équipementiers ne sont pas dans les systèmes des distributeurs. Pour l’instant, les groupements internationaux travaillent à la mise en place d’ERP transversaux pour harmoniser leurs propres systèmes et consolider leurs moyens. Mais cette connexion entre fournisseurs et distributeurs est une direction logique à mon sens.

Certains groupements vont-ils plus vite que d’autres justement, sur tous les sujets ?

D. G : LKQ donne définitivement le ton, bien qu’il soit en phase de consolidation actuellement, après une phase de rachats active. La mission du nouveau CEO est désormais de rassembler un empire fragmenté pour en dégager toutes les synergies possibles, à commencer par la Supply Chain et l’IT.

Quelle est votre analyse sur l’arrivée des constructeurs sur la pièce équipementière ?

D. G : PSA est arrivé avec Distrigo et nous avons observé cet investissement avec beaucoup de respect parce-que la stratégie du groupe français était inédite et portait d’emblée sur l’international. Ils sont allés chercher les compétences là où elles étaient, dont des équipementiers comme Valeo. Ils ont mis les moyens sur le long terme et sont montés en puissance sur des marchés comme la France et l’Espagne. C’est un peu plus compliqué sur d’autres comme l’Allemagne et l’Italie. Mais ils émergent et deviennent sur ce plan un acteur de l’IAM que personne ne peut plus ignorer. Les opportunités sont clairs pour les fournisseurs.

Que pensez-vous de l’arrivée de Renault dans la foulée ?

D. G : La réponse du second face à l’offensive du premier était évidente sur le terrain de l’IAM. PSA avait déjà de l’expérience sur la pièce multimarque avec Eurorepar, mais Renault également avec Motrio. Ce pan va très certainement être un axe stratégique dans son plan de relance. Un axe déjà entamé sur la pièce multimarque avec le rachat des plaques Exadis, avec Mobivia.

Justement, Mobivia a racheté le groupe ATU en Allemagne. Votre analyse ?

D. G : Le groupe français est un excellent tremplin pour l’enseigne de centre autos allemands qui n’a jamais traversé les frontières. Mobivia digère l’acquisition faite il y a deux ans. Les centres ATU sont en consolidation et vont récupérer une image jusque-là qualifiée de médiocre sur les pièces et l’entretien. Cette montée en gamme va leur faire du bien. Le savoir de Mobivia est indéniable.

Quels acteurs internationaux pourraient débarquer en Europe pour conquérir le marché de la pièce et poursuivre le jeu de la concentration ?

D. G : Les américains montrent toujours de fortes velléités pour aborder le marché européen. Le niveau de consolidation y est encore bien inférieur par rapport au territoire américain. Les trois acteurs majeurs européens détiennent 30% de parts de marché, contre 50% aux Etats-Unis. On parle de GPC bien sur, mais Advance AutoParts à rejoint Nexus, franchissant une marche vers l’international. Sachant que ces acteurs viennent avec leurs propres marques privées, une vraie lame de fond sur le sol européen, à l’image de NAPA. Ces « Private Labels » vont prendre une place de plus en plus importante, au moins pour certaines catégories de produits.

Ce qui n’est pas votre cas dans le domaine de la bougie ?

D. G : Très peu en effet. Nous sommes sur de la pièce technique, touchant au moteur et la combustion, avec une image Premium très forte. Le MRA fait très attention pour éviter la casse moteur. Le prix d’une bougie est faible mais la prise de risque est très forte. Donc, le garagiste n’est pas prêt à économiser 30% sur le prix d’une bougie. C’est un bouclier protecteur pour NGK, pour l’instant.

Quels sont vos gisements de croissance aujourd’hui ?

D. G : Nous avons clairement des opportunités sur la région Afrique et Moyen Orient. L'entité juridique la plus proche est à Dubaï et nous avons également une filiale et un site de production en Afrique du Sud qui dessert une grande partie des pays en Afrique. Donc, pour nous rapprocher encore de ces marchés et de la distribution locale, nous allons investir dans de nouvelles ressources, en gonflant nos forces de ventes, animations commerciales et marketing.

Pensez-vous que l’IAM en Europe ait anticipé l’électrification et la digitalisation galopante ?

D. G : L’hybridation est un vrai sujet pour l’Aftermarket qui semble, de mon point de vue, en retard en matière de formations et d’investissements. Il faut être très attentif à cette poussée de l’hybride, et de l’électrification de manière générale. Cette partie est bien évidemment un sujet fort chez nous car nous sommes encore peu présents dans ce domaine. Mais tout est déjà en cours d’études. Ce qui est délicat reste dans la gestion à court et moyen terme de nos activités qui font toujours notre croissance, tout en ayant des réflexions sur le long-terme à propos des futures technologies (nouveaux composants, télématique…). Nous avons par conséquent acquis des compétences nouvelles, recrutées hors industrie automobile, chargées de repenser nos propres business models.

Quelles perspectives pour les années à venir selon vous ?

D. G : Quatre mots pour les résumer au niveau de la première monte : autonomie du véhicule, connectivité, mobilité partagée et électrification ! Nous sommes très dépendants des véhicules thermiques, nos prochains chantiers sont donc axés sur ce virage technologique que nous devons prendre absolument. Nous planchons sur ces sujets. Puis en rechange, notre destin se dessine à partir des mouvements de consolidation de la distribution. Nous devons travailler nos forces commerciales et les façonner en spécialistes de ces Grands Comptes qui dorénavant nous font face. Nous avons créé des Key Account Managers régionaux, chargés de piloter une zone contenant plusieurs pays. Nous avons même des KAM mondiaux, mais qui ne gèrent qu’un seul grand compte comme LKQ par exemple. Cela n’existait pas auparavant. Il y a d’ailleurs des transferts de compétences très intéressants. entre la première monte, plus aguerrie sur le sujet des grands comptes depuis des années et la rechange indépendante. Ce qui n’existait pas non plus auparavant. Les cloisons sont tombées. Et nous sommes définitivement en train de muter.

Muriel Blancheton

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