F. Delion, Renault : « L’électrification et la connectivité nous permettent de reprendre des parts de marché »

Muriel Blancheton
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François Delion Renault

Les ruptures technologiques en cours et à venir sont de vrais leviers pour la rechange constructeur, à condition de valoriser la prestation vers le client, d'après François Delion. Le directeur après-vente monde du groupe Renault livre sa vision détaillée d'une stratégie de conquête sur le terrain de l'après-vente et de la rechange indépendante : schéma logistique, deals uniques... la feuille de route est écrite et est totalement avalisée par le constructeur...

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Vous annoncez 5% de croissance sur l’activité après-vente monde. Quels leviers avez-vous actionné ?
François Delion :
Ce résultat est le fruit d’une progression sur tous les canaux showrooms, avec nos ventes d’accessoires, atelier et grossistes. Ce qui est notable sur le canal atelier, c’est la progression de notre taux de pénétration services sur le segment des 4 à 7 ans ! Nous mettons en avant notre gamme alternative Value+, positionnée entre la pièce d’origine et Motrio et lancée au printemps 2021. Elle est adressée aux véhicules Renault de plus de 5 ans et aux modèles Dacia de plus de 4 ans et nous permet d’offrir dans nos ateliers de marque, une prestation parfaitement adaptée aux besoins de clients en recherche d’une offre tarifaire compétitive tout en restant dans l’environnement constructeur. Nous avons également renforcé nos contrats d’entretien proposés dès la vente du véhicule mais aussi commencé à transférer ces mécaniques de contrats avec tous les mécanismes financiers ad hoc sur le véhicule d’occasion. C’est un autre axe de croissance du groupe sachant que notre activité VO est en forte croissance et à vocation à le rester. Mécaniquement, nous augmentons nos flux de retours de véhicules qui viennent notamment alimenter nos centres de reconditionnement (Refactory déjà déployé en France et en Espagne). Plus la valeur résiduelle du véhicule augmente, plus le client est enclin à reconduire son contrat d’entretien sur son VO et nous comptons donc profiter pleinement de cette opportunité.

Pourtant, cette croissance intervient dans une période peu propice ?
F. D :
Nous venons de traverser deux années compliquées, c’est vrai, mais 2022 signe le retour de la performance commerciale sur le trend de 2019, année de référence. Dans un contexte où le parc récent décroit significativement sur les 0 à 3 ans et la fin de notre activité en Russie, marché majeur pour le groupe français, la performance est à souligner ! Un travail intense a également été réalisé sur le positionnement tarifaire adapté au modèle et l’âge du véhicule. Ces « mécaniques » de pricing sont adaptées à chaque région, selon le marché local, très différent entre l’Europe du Nord, du Sud, l’Amérique Latine. Sur le terrain, les comportements des clients finaux sont très différents d’un pays à l’autre, et nous travaillons pour nous y adapter au mieux. Si je reprends l’exemple mentionné des financements et des contrats d’entretien… Les coûts diffèrent et les montages des contrats également, selon les cultures locales. Dans les pays de l’Est ou en Turquie où les taux d’intérêts sont élevés, nous proposons des Pack Entretien pour les VO sur la première révision, plutôt que de repartir sur un contrat trop engageant avec un financement sur trois ans… Néanmoins la stratégie de conquête des parcs plus anciens est menée partout sans exception.

L’histoire s’écrira en plusieurs étapes mais elle fera sens pour chacun des partenaires et chacune de nos enseignes 

Un point d’étape sur le deal noué entre Motrio, Castrol et Goodyear ? 
F. D :
Les briques sont là et le projet se concrétise chaque jour un peu plus entre nos enseignes qui sont complémentaires sur tous les aspects du produit à l’implantation géographique. Nous avons lancé une première expérience en Espagne, un pilote grandeur nature, afin d’avoir un retour d’expérience et de définir la meilleure « customer value » en termes de produits et solutions complètes. Nous travaillons avec notre startup digitale Kadensis, et nous serons en mesure d’annoncer prochainement, ensemble, les prochaines étapes en BtoB comme en BtoC. Mais nous agirons de manière collégiale avec nos deux autres partenaires vers nos réseaux respectifs. L’histoire s’écrira en plusieurs étapes mais elle fera sens pour chacun des partenaires et chacune de nos enseignes…  

Vous êtes toujours en conquête chez Motrio ? 
F. D. :
En effet, nous allons clôturer l’année à +15% de croissance en points de vente versus les 2000 enregistrés l’an passé (entre 5000 et 7000 à terme). Nous peaufinons encore notre Master Franchise pour cela. Mais les choses sont claires : nous ne ferons jamais de quantitatif au détriment du qualitatif. Nos résultats 2022 le démontrent avec plusieurs distinctions notamment en France où  nous sortons première enseigne d’entretien multimarques d’après allogarage et Google (étude Vasano solutions). Néanmoins nous avons vocation à croître et réduire l’hétérogénéité de notre maillage avec aujourd’hui une présence forte en France, Italie, Espagne et dans tout le sud-Est européen mais perfectible ailleurs. Nous devons nous renforcer dans les pays du nord Est de l’Europe, au Maghreb et en Turquie. Nous devons être beaucoup plus significatifs en Angleterre (moins de 100 points de vente), voire en Allemagne où nous sommes absents. Nos formats évoluent également avec Motrio Carrosserie par exemple, en utilisant le levier de notre marque Ixell. Mais nous allons écrire une belle feuille de route avec Motrio. Le panneau nous permet de générer du trafic atelier et du business en rechange indépendante, en étant présent sur le marché des véhicules de plus de 5 ans. Sachant que l’âge moyen du parc va encore augmenter, puisque les valeurs résiduelles augmentent et que le curseur sur les véhicules économiquement irréparables se déplace, c’est une opportunité que nous ne pouvons ignorer et nous pensons qu’une enseigne multimarque fondée et nourrie par un constructeur trouvera naturellement sa part de marché.

Ce panneau multimarque va-t-il devenir le bras armé du concessionnaire en quête de nouveaux clients ? 
F. D :
Une opportunité qu’ils peuvent saisir s’ils le souhaitent pour pénétrer ce marché des véhicules anciens. Le parc est vieillissant et la manne de la rechange indépendante est à portée de mains. Motrio est le moyen d’avoir un accès privilégié à ce canal de clients. Et certains d’ailleurs ont franchi le pas en investissant dans le panneau. Sur le territoire Adriatique (Slovénie, Croatie, Serbie et Balkans), que j’ai piloté jusqu’à l’an passé, plus de 20% des garages Motrio étaient développés par les distributeurs locaux. Tout le monde sait que l’après-vente a une place majeur dans la profitabilité d’une concession. Tous sont conscients des challenges à venir. Dans tous les cas, le réseau primaire sait que ce réseau multimarque n’entre pas en conflit avec eux, mais vient en complément. 

On ne s’interdit rien. Et on n’impose rien. En revanche, nous allons très loin dans la digitalisation de nos outils logistiques

Peut-on voir le schéma logistique des hubs initié en France dupliqué ailleurs ? 
F. D. :
Nous annonçons en effet 80 hubs pour 2025 dans l’Hexagone. Certaines plaques sont déjà lancées, dont celle du groupe Bodemer – et une douzaine sont engagées. Mais ce n’est pas nécessairement une stratégie européenne. Encore une fois, nous nous adaptons à chaque marché : en Espagne, nous avons repris totalement la distribution capillaire, avec plus de 10 centres de distributions régionaux disséminés et nous assurons les livraisons quotidiennes pour la rechange indépendante, au nom des concessionnaires. En Italie, le schéma est hybride avec une application au Nord de la Péninsule (plus dense) similaire à l’Espagne, et de la logistique capillaire concessionnaire dans le Sud. Tout dépend des attentes des réparateurs indépendants, de la capacité de nos distributeurs… On ne s’interdit rien. Et on n’impose rien. En revanche, nous allons très loin dans la digitalisation de nos outils logistiques via les solutions WMS Manhattan (Warehouse Management System) et SAP. Nous déployons également la solution Exotec pour automatiser nos magasins. C’est d’ailleurs la même solution adoptée par AAG pour sa méga-plateforme First et qui feront nous en sommes sûr de nos deux entreprises des leaders dans le domaine.
Nous proposons également de la gestion pilotée des stocks pour nos concessionnaires via un partenariat avec Syncron, société digitale à la pointe de la technologie de RIM (Retail Invetory Management)… L’objectif est d’avoir partout dans le monde une vision globale de notre logistique qu’elle soit interne ou externe, car ce sont bien tous ces schémas sans chapelle qui nous permettent de booster notre performance commerciale sur le terrain en s’adaptant aux besoins spécifiques de chacun des marchés mais en conservant une vision et un pilotage globale.

Ces dispositifs logistiques mondiaux digitalisés doivent mécaniquement faire baisser vos couts de distribution ?
F. D. :
Bien sûr ! En pilotant une logistique automatisée, je peux agir sur mes coûts et la qualité de service. Nous devons retrouver en productivité tous nos investissements réalisés. C’est une feuille de route écrite. Si la distribution est externe, assurée par un concessionnaire, l’outil en place doit fournir un niveau de productivité et nous l’inscrivons dans nos marges de distribution. Si la performance n’est pas au rendez-vous, nous trouvons des solutions ensemble. Nous ne travaillons jamais contre le réseau mais avec lui. Chacun doit trouver sa profitabilité. 
 

L’entretien d’un véhicule électrique est plus compétitif qu'un thermique, ce qui nous donne encore un avantage supplémentaire 

D’où viendra la manne selon vous qui drainera le client dans vos ateliers ? 
F. D. :
En premier lieu de notre capacité à exploiter mieux que les autres les ruptures technologiques en cours et à venir. Au-delà de notre maîtrise après-vente des technologies d’électrification et d’hybridation, je citerai la connectivité des véhicules, assurément ! Elle devient massive, à tel point qu’à horizon 2030, 80% de notre parc sera connecté suffisamment pour que l’on fasse de la maintenance proactive et préventive. Mais elle sera basée sur quatre familles : le pneumatique, la batterie, l’huile et le freinage, via nos applications myRenault ou myDacia. Notre dernier lancement, l’Austral, nous communiquent en temps réel les données d’accélération, de pression pneumatiques, de qualité lubrifiant et de niveau batterie 12V…Nous sommes capables de savoir avant même le client ce qui se passe sur sa voiture. L’enjeu réside sur notre capacité à traiter commercialement cette data. Nos conseillers doivent être capables de diagnostiquer le véhicule à distance et d’anticiper les besoins du client pour lui offrir une nouvelle expérience après-vente plus fluide et inégalée. Des concessionnaires européens  testent actuellement des outils pour réceptionner les véhicules sans voir le client (prise de rendez-vous digitale, jokeyage ou boîte à clés, validation de l’ordre de réparation sur le Smartphone, les opérations additionnelles, paiement en ligne et restitution). Nous ambitionnons de rendre 80% du réseau Renault G4 (France, Espagne, Italie et Allemagne) opérationnel d’ici fin 2023. En 2023, deux millions de véhicules Renault seront déjà communicants. La connectivité n’est plus un rêve. Associée à la digitalisation du parcours client, elle peut constituer une rupture.

Comment être certain que ces révolutions technologiques soient les vrais leviers pour la rechange constructeur ? Les indépendants ont toujours surmonté ces ruptures…
F. D. :
Elles le seront si tant est que nous réussissions à la transformer en valeur client ! Et même si le parc est vieillissant, sa valeur résiduelle va aussi continuer à augmenter considérablement. Nous y voyons là deux opportunités : les clients vont d’abord souhaiter maintenir la valeur de leur véhicule plus longtemps, même après sept ans. Nous travaillons sur la mise en valeur de certificats d’entretien et de diagnostics électroniques et batteries visant à concrétiser cette valeur pour nos clients. Ensuite, nous voyons dans le prix croissant des véhicules d’occasion une opportunité d’allonger les cycles de produits de financements fidélisants incluant nos services après-vente. Tout dépendra de nous et de notre capacité à avancer plus vite que la rechange indépendante, sachant que nous avons une longueur d’avance commerciale avec les mécanismes de ventes de véhicules neufs et d’occasion et technologiques avec la connectivité et l’électrification. Deux révolutions bien différentes de celles d’il y a vingt ans avec les Bus Can, les reprogrammations… Et n’oublions pas que l’entretien d’un véhicule électrique est plus compétitif qu'un thermique, ce qui nous donne encore un avantage supplémentaire ! Si nous jouons le jeu, nous avons toutes les cartes pour revaloriser la prestation constructeur… Et quoiqu’il arrive nous ne négligeons pas en parallèle le potentiel de la rechange indépendante. C’est pour cela que nous ambitionnons d’y prendre des parts de marché croissantes via nos initiatives physiques avec Motrio, mais aussi digitales au travers de Partakus et Fixter dont nous espérons démultiplier le potentiel via des partenariats stratégiques de grande ampleur.

Muriel Blancheton
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