Gaël Navinel, Bosch : « Nous ne sommes pas tributaires de ratios pilotés par des actionnaires »

Muriel Blancheton
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Gael Navinel, Bosch

Logistique retravaillée sur-mesure, mutation technologique et digitale de l’atelier, levier IAM… Gaël Navinel, le vice-président Sales Europe West, chargé de la division Automotive Aftermarket France & Benelux de Bosch, trace la feuille de route de l’équipementier, pavée de services à forte valeur ajoutée…

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Zepros : Votre analyse de 2023 ?

Gaël Navinel : Une année en deux temps : un premier semestre soutenu puis une décélération depuis cet été pour toutes les divisions, freinées par le ralentissement de l’activité économique au niveau mondial. La cause est commune à tous : l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, avec toutes les répercussions que l’on connaît sur la logistique, les coûts des pièces et des stocks. Sauf que dans le même temps, nous sommes engagés sur des investissements colossaux – électrification, nouvelles technologies, ADAS, hydrogène (2 Md€ sur cinq ans) … – sans avoir de retour sur investissement immédiat.

Quelles sont les zones les plus dynamiques en OE actuellement ?

G. N. : Les États-Unis sont porteurs de croissance, indéniablement. L’Europe et la Chine sont plus compliquées, notamment au second semestre, pour les raisons de conjoncture évoquées. En Europe, on ne parle pas encore de décroissance mais d’un ralentissement, alourdi par l’incertitude des consommateurs sur leur consommation automobile (achat et entretien). Dans ce contexte, le parc circulant vieillit et c’est encore la rechange qui en récolte le mieux les fruits !

Quels sont vos résultats en rechange ?

G.N. : Nous devrions réaliser une belle année 2023 avec une croissance entre 8 et 11% ! La dynamique est là pour le groupe au niveau mondial, mais particulièrement sur le sol européen. Fait notable, nous observons une croissance homogène dans les pays nordiques, l’Irlande et le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Europe du Sud, mais avec une accélération en Turquie et au Moyen-Orient (particulièrement sur le poids lourd).

Nous avons ainsi raccourci les distances en relocalisant certaines productions, comme les essuie-glaces fabriqués en Asie auparavant

Avoir le stock et ne jamais se désengager du terrain ! Comment travaillez-vous ces deux fondamentaux ?

G. N. : Nous avons revu les flux, les stocks et tenté de nous préserver contre des hausses tarifaires pour ne pas trop les répercuter en aval. Nous avons ainsi raccourci les distances en relocalisant certaines productions, comme les essuie-glaces fabriqués en Asie auparavant. Nous travaillons plus finement avec nos clients sur le meilleur profilage de stocks et ainsi éviter les surcoûts. Cette veille s’applique pays par pays, à la référence près, et remonte jusqu’au top management, afin d’avoir le meilleur taux de disponibilité. Nous sommes à 90% de taux de service selon les produits, avec l’objectif de dépasser les 95%. Nous gagnons des points chaque mois. Et je rappelle que la crise du Covid-19 a montré que nous faisions partie des très bons élèves en logistique ! Encore une fois, nous bénéficions de la stabilité d’une fondation et ne sommes pas tributaires de ratios pilotés par des actionnaires. Nous travaillons sur le long terme.

Observez-vous toujours des ruptures et des coûts de transport élevés ?

G.N. : De manière ponctuelle sur le premier point et uniquement sur certains produits, mais rien de significatif par rapport à ce que l’on a pu connaître ! Les flux logistiques se rétablissent et se reconsolident. J’observe que la hausse des taux d’intérêt incite certains clients à réduire leur stock et à s’appuyer sur l’équipementier qui a retrouvé ses niveaux de stabilité dans sa propre supply chain. Sur les coûts, nous avons passé différents écueils jamais vécus auparavant pour les produits provenant d’Asie : containers bloqués des mois dans le canal de Suez, explosion des prix, obligation de trouver des routes alternatives notamment via le Transsibérien, blocage de cette voie avec la guerre en Ukraine… Pour éviter de nouveau cette situation, nous rapatrions tout ce que nous pouvons en Europe, ce qui réduit nos délais…et notre empreinte carbone ! Ce qui est cohérent avec nos objectifs RSE puisque nous sommes déjà neutres sur les Scopes 1 et 2 – tous les sites de production Bosch dans le monde et les bureaux sont neutres en carbone depuis 2020 – et nous ciblons le Scope 3, incluant le transport.

Peut-on parler de réparateur mondial 3.0 grâce au digital ?

G. N. : Oui, car le digital transforme les pratiques dans les ateliers dans un contexte où le réparateur doit monter une marche technologique toujours plus haute en réparation. C’est d’ailleurs pourquoi nous lançons de nouveaux services en permanence : le Remote Diagnostic, hotline technique prenant la main sur l’outil de diagnostic KTS de l’atelier (couplé avec le logiciel ESI[tronic] 2.0) pour les mises à jour, le télé codage apparu début 2023, juste après le Secure Diagnostic Access (SDA), la plateforme simplifiant les démarches d’inscription des réparateurs auprès des portails constructeurs pour déverrouiller l’accès protégé aux données du véhicule. En 2024, nous lancerons le State of Health (possibilité de vérifier l’état de santé des batteries du VE) ou encore l’accès à l’EDR (enregistreur de données) pour connaître l’historique d’accidents lors des transactions VO… C’est un fort challenge car nous ouvrons la porte de nos ateliers à de nouveaux clients et permettons aux réparateurs indépendants de ne plus sous-traiter ce type d’opération chez le concessionnaire, en traitant eux-mêmes des opérations complexes.

Cette révolution automobile amène Bosch à réorganiser dès le 1er janvier 2024 sa division Mobilités au niveau mondial

D’autant que cette complexité va encore s’accélérer ?

G. N. : Bien sûr, car elle est mue par les réglementations, comme la norme Euro 7 qui impose la réduction des particules sur le freinage, ce qui suggère une plaquette spécifique à un jeu de disques spécifique. Cette lame de fond est aussi alimentée par le Software Defined Vehicle (SDV), où chaque nouveau modèle est conçu autour d’un logiciel. Cette révolution automobile amène Bosch à réorganiser dès le 1er janvier 2024 sa division Mobilités au niveau mondial. Les équipes vont travailler de manière plus transversale et sur un seul cœur de business avec un système informatique central. C’est le plus gros changement de structure dans l’histoire du groupe à l’échelle internationale.

Les constructeurs peuvent-ils s’appuyer sur cette complexité et la connectivité croissante des véhicules pour reprendre des parts de marché à l’IAM ?

G.N. : C’est un point de vigilance à avoir, sachant que les constructeurs doivent gérer la sécurisation des données notamment parce que les mises à jour des véhicules se font de plus en plus “over the air”. Ce besoin de sécurité ne doit pas se faire au détriment des réparateurs indépendants, où qu’ils se trouvent dans le monde. C’est pour cela que nous fournissons les solutions qui garantissent les protocoles constructeurs et permettent aux réparateurs d’accéder aux données du véhicule, avec les “Gateway”. Ensuite, les lois, notamment européennes, sont très claires sur le libre accès. Reste à les respecter.

Comment répondre précisément aux besoins de chaque marché ?

G. N. : La réponse est complexe car chaque zone à ses propres règles entre l’Europe, les États-Unis et bien sûr la Chine qui avance très fortement sur l’électrique et le software. Nous employons 70 000 personnes dans notre filiale chinoise. Notre rôle de fournisseur mondial est de s’adapter à chaque zone, chaque marché, chaque pays. En Inde, nous travaillons très fortement sur le deux-roues par exemple. Ce pays est un moteur en termes de R&D. En Europe, le cadre réglementaire, avec ses normes, crée une certaine homogénéité. Ensuite, ce sont les politiques d’accompagnement par pays qui génèrent les différences d’un point de vue technique et technologique. Je note la problématique commune des ressources humaines, partout en Europe. Le monde de l’automobile a besoin de bras et de compétences, au moment où le véhicule devient de plus en plus complexe. En clair, nous avons besoin de plus en plus de personnes mieux formées sur les techniques pointues. À tout point de vue, nous sommes en pleine révolution ! 

Lire l'édition 2024 de l'Atlas de la distribution PR internationale by Zepros

BOSCH : RÉSULTATS ET PERSPECTIVES DU GROUPE.

•88,4 Md€ en2022 (+12% vs 2021) et 3,7 Md€ de résultat opérationnel (EBIT), dont 52,6 Md€ pour le secteur des Solutions pour la mobilité (+17%). •Par zone : 44, 8Md€ en Europe (+8%),14,3 Md€ en Amérique du Nord (+11%),1,8 Md€ en Amérique du Sud (+30%), 27,5 Md€ en Asie-Pacifique (+12%). 
•420300 collaborateurs. 
•950 M€ investis sur dix ans dans un centre d’ingénierie à Suzhou, en Chine, dans l’électrification et l’automatisation.
•Développement des usines de semi-conducteurs à Dresde et Reutlingen en Europe (3Md€ supplémentaires jusqu’en 2026). 
•Développement des activités internationales, notamment en Égypte, en Inde, au Mexique, aux États-Unis et au Vietnam.

Muriel Blancheton
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