P. Colpron, ZF : « Être solide pour endosser la coexistence technologique thermique-électrique »
Démarche collaborative, virage électrique et connecté engagé : l’équipementier allemand s’estime suffisamment en avance de phase pour soutenir les mutations technologiques à venir tout en maintenant sa position sur la maintenance du parc ancien. D’autant que le marché de l’aftermarket est actuellement porteur.
Philippe Colpron : La société actuelle est en recherche permanente d'efficacité absolue, qui viendra d’une connectivité plus intégrée de tous les acteurs. Cela dit, pour chaque projet nous regardons l’apport de ces solutions co-construites au regard des spécificités de chaque segment de clientèle, de chaque pays, type de véhicule. Et nous identifions les partenaires qui vont permettre d'avoir une valeur ajoutée conjointe plus forte, en respectant le business model de chacun. Aujourd’hui, nous travaillons pour étendre la démarche sur le monde des flottes, très demandeur d’efficacité, mais aussi pour développer un nouvel écosystème plus connecté pour les ateliers, et notamment pour couvrir leurs besoins en solutions de diagnostic multimarques. Ainsi, nous allons chercher des partenariats sur les formations techniques avec notre service ProTech et nous ajoutons d'autres fournisseurs. En Amérique du Sud, nous avons développé avec un organisme financier une solution pour faciliter le paiement dans les garages. Le but est que chaque partie bénéficie d’une valeur ajoutée en conservant son business model. Autre exemple d’intégration de valeur, mais en interne cette fois : la mise en service du “Remote Vehicle Health“ pour les poids lourds et véhicules de livraison, en combinant notre expérience en matière de télématique intégrée et nos outils de diagnostic. Ici, nous ciblons les petites flottes dont la maintenance est moins surveillée et pour qui cette solution intégrée permettra de mieux contrôler la santé de son parc. Sur chaque solution que nous développons, nous élargissons l'écosystème pour être pertinent en termes d'utilisation des produits.
P. C. : Je suis effectivement convaincu que le futur sera électrique, bien que cela prendra un peu plus de temps qu’attendu, et ne sera pas homogène selon les régions du monde. La question de la rentabilité est complexe, principalement parce que l'industrie n'a pas la colonne vertébrale de supporter tous les investissements nécessaires sans un ROI aussi rapide qu’espéré. Chez ZF, nous avons la chance d’être en position de force grâce à notre portefeuille produits solide sur la transmission, freinage, suspension, direction… Autant d’organes qui vont rester indispensables pour les interventions sur un véhicule électrique. Chez d’autres fournisseurs, la situation va être plus compliquée, et notamment chez ceux dépendants des produits en transformation technologique. Il est vrai que la coexistence des différentes technologies est compliquée et cela devrait durer encore au moins sur les cinq prochaines années. Mais actuellement, nous sommes dans un cycle porteur en après-vente, c’est donc le bon moment pour se préparer à gérer la coexistence des deux technologies. Car ne pas se préparer, c’est laisser la place à d’autres qui arriveront sans la connaissance fine de l’écosystème après-vente et ses besoins. Reste que pour les équipementiers historiques solides, des opportunités de travailler auprès de ces nouveaux acteurs, pour qui ce ne sera pas profitable de recréer des solutions mises en place par nous depuis de décennies.
P. C. : Effectivement, sur de plus en plus de véhicules, électriques ou pas, toutes les pièces seront contrôlées par un logiciel (software). Clairement, cette mutation pourra être une difficulté pour les ateliers qui devront aussi être de plus en plus digitalisés. C’est un véritable changement de business model qui se profile pour eux, car il faut aussi s’attendre à une érosion naturelle de la monétisation de la pièce, mais une augmentation de celle de la gestion, de la calibration et des mises à jour des logiciels (softwares) des véhicules.
P. C. : Le virage est différent selon les régions du monde. En Europe de l'Ouest, le garage est déjà fortement informatisé. Passer de l’ordinateur à l’iPad ne devrait pas le déstabiliser ! Sauf que l’écosystème est branché sur de multiples solutions aux architectures anciennes et difficilement connectables entre elles. Cela complique notre impératif de travailler sur leur intégration et d’améliorer le partage d’informations pour rendre plus fluides les process et les relations avec les clients, notamment au niveau des flottes. Au Brésil, les ateliers sont très en avance sur l’utilisation des technologies numériques très performantes qui ont amélioré significativement leur communication avec leurs fournisseurs et leurs clients. Nous y avons ainsi développé le programme ProAmigo, qui est un réseau technique de mécaniciens, avec une application de prise de rendez-vous en ligne, avec outil de devis en ligne et suivi des opérations. En Chine, déjà très digitalisée, nous devons intégrer une grande connectivité entre les ateliers et le client final. De même, l’Inde est passée à un système très professionnalisé grâce aux avancées de la fintech. D’où l’importance d’avoir des équipes dans les différentes régions du monde qui ont une connaissance fine de leurs usages et ainsi leur apporter un service pertinent.
P. C. : Je pense que la consolidation du marché va s’accélérer. Parce qu’il va falloir être en mesure de supporter économiquement la transformation qui est marche tout en développant des solutions profitables pour les besoins quotidiens actuels des garages et des distributeurs, qui ont également une cohérence avec le futur qui se dessine.