LKQ, le Velociraptor de la pièce

Jean-Marc Pierret
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LKQ 2017

LKQ Corporation et Genuine Parts Company sont les nouveaux rois de la distribution de pièces en Europe. Pour mieux les connaître et les comprendre, nous analysons leurs moyens et leurs parcours dans une série de trois articles. Après «l'ère nouvelle des “prédateurs-distributaures”», ce deuxième volet de notre enquête se consacre à la très rapide croissance et surtout à la profonde mutation du groupe LKQ Corporation, mutation issue principalement des conquêtes européennes de sa filiale LKQ Europe...

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Si GPC et LKQ sont bien ces “prédateurs Distributaures” que nous décrivions dans notre précédent article, alors LKQ s'apparente au Velociraptor. Car depuis qu'il a érigé notre Europe de la pièce en terrain de chasse, il s'est montré à la fois rapide, malin, agile et déterminé comme ce dinosaure carnivore immortalisé dans «Jurassic Park». Entre 2003 et 2017, il a en effet conduit une rafle inédite dans l'Europe de la distribution sans rencontrer de résistance significative : ECP en Angleterre, puis Stator/Van Heck et Kühne au Benelux, Rhiag en Italie et en Europe de l'Est, Mekonomen en Scandinavie et maintenant donc Stahlgruber pour l'Allemagne, l'Autriche, la Slovénie et la Croatie.

Et nous ne comptons pas les plus petits distributeurs achetés dans l’intervalle ni les “sous-rachats” régionaux conduits parallèlement par ces distributeurs devenus filiales. Son festin européen a permis au distributeur américain de transformer radicalement son “core business”. Et d'une façon inédite dans le monde de la pièce.

Le casseur anobli en distributeur

Pourtant, rien dans les gènes de LKQ ne le prédisposait vraiment à devenir le leader européen de la distribution indépendante. Car au commencement était le casseur. Et la pièce d'occasion, son seul royaume. En 2003, comme le montrent les graphiques ci-dessus, la quasi-totalité de son chiffre d'affaires, alors exclusivement nord-américain, est effectivement issu de la déconstruction («recycled products»). Un déconstructeur certes splendide, affichant un confortable CA de 328 millions de dollars (230 millions d'euros actuels) à la dimension du continent qu'il couvre déjà. Mais encore un strict spécialiste du domaine, totalement étranger à la pièce neuve.

En 2007, sa mue a déjà bien commencé. LKQ atteint alors 1,1 Md de dollars (940 millions d'euros). Activité du Do it Yourself comprise («self service parts»), la vente de pièces («aftermarket NA» - NA pour «North America») représente déjà le même volume que son activité historique. En 2011, année où il va poser son premier pied en Europe en rachetant le britannique ECP, la mutation est même devenue spectaculaire. En valeur relative, la déconstruction ne représente plus qu'un gros quart des 3,27 Mds de dollars qu'il réalise annuellement (2,8 Mds d'euros).

Les deux graphiques de 2017 (à gauche, avant le rachat de Stahlgruber et à droite, après) illustrent parfaitement l'aboutissement d'une profonde métamorphose. De 100% casseurs en 2003, on le retrouve à 68% distributeur de pièces équipementières 14 ans plus tard. Le mix de ses ventes est définitivement devenu celui d'un distributeur multimarque, multi-secteur et multi-marché.

Bientôt plus européen qu'américain

Car dorénavant, la déconstruction ne pèse plus que 13% des 11,3 Mds de dollars (9,7 Mds d'euros) du CA planétaire de LKQ, à presque égalité avec les 11% de «Specialty» (équipements et accessoires). On constate aussi qu'il est sur le point de devenir majoritairement européen. Son activité de rechange de ce côté-ci de l'Atlantique («European operations») pèse maintenant 47% de son CA total, loin devant la rechange américaine (21%, «Aftermarket NA»). La prochaine acquisition fera sans nul doute basculer l'ensemble américano-européen en monstre européano-américain.

De toute évidence, la pièce est en outre très calorique : en 14 ans, le distributeur a ainsi vu sa taille initiale multipliée par plus de 34 ! En gobant Stahlgruber, LKQ a fait un joli coup. En passant, il lave aussi une humiliation passée. On ne lui connaît qu'une proie ratée en Europe. Et c'était justement lors de sa première campagne d'Allemagne : en 2013 en effet, le distributeur échouait dans la reprise de l'Allemand PV Autoteile qui lui préférait alors son confrère... Stahlgruber. 4 ans plus tard, le “Distributaure Velociraptor” s'est donc joliment vengé en dévorant à la fois le repreneur et son repris de l'époque.

La jonction des troupes

Le résultat de cette dernière acquisition est également spectaculaire d'un point de vue territorial. Non seulement LKQ réussit enfin à poser le pied en Allemagne (1er marché européen avec un parc roulant de plus de 44 millions de véhicules), mais il réalise aussi la jonction géographique de ses armées comme tout stratège guerrier se doit de l'ambitionner.

L'Allemagne de Stahlgruber est en effet au carrefour de ses troupes est-européennes et italiennes détenues via son rachat précédent de Rhiag, de celles du Nord (Mekonomen en Scandinavie), de celles du Nord-ouest incarnées par Stator/Van Heck au Benelux et par ECP au Royaume-Uni. L'Allemagne, l'Autriche la Slovénie et la Croatie complètent dorénavant harmonieusement le puzzle d'acquisitions réalisées depuis 2011 par LKQ. Et Stahlgruber devient, de fait, le nouveau centre de gravité de l'empire européen du groupe de distribution.

La nécessaire conquête de l'Ouest européen
Le nouveau territoire couvert par LKQ. Cliquez sur l'image pour l'agrandir (Source : LKQ Corporation)

Et demain ? Ci-contre, la carte de ses positions consolidées (en vert, rouge et zébré) l'annonce clairement. Il ne reste plus qu'un front majeur à percer par LKQ : le front Ouest, à savoir le territoire allant de la France (le second marché européen) à l’extrémité de la Péninsule ibérique. Une zone où LKQ oublie d'ailleurs humblement de préciser qu'il dispose déjà d'une position avancée. La petite présence déjà effective en Espagne via le distributeur ERA détenu par sa filiale Rhiag ne semble en effet pas assez consistante pour que LKQ la revendique sur sa propre carte.

Comment LKQ passera-t-il par la France ? En continuant de confier à Van Heck Interpièces la constitution lente et besogneuse d'un réseau de petits distributeurs à peine plus gros que des jobbers ? Par l'acquisition d'un réseau de plateformes en quête de solutions immédiates ? Ou en courtisant Autodis Group, le dernier géant français disponible depuis que GPC a happé Alliance Automotive Group ?

Autodis Group s'échappe par le haut

Cette dernière option est probablement devenue caduque depuis le 18 décembre dernier, quand Reuters révélait qu'Autodis Group envisage une introduction en Bourse à court terme. Parce que la France est stratégique pour LKQ et qu'Autodis reste la seule option d'invasion rapide et massive de ce marché, Bain Capital, qui  achetait le distributeur à un prix plutôt bas (probablement 600 à 650 millions) à Towerbrook fin 2015, aurait certes pu faire une superbe plus-value auprès de LKQ.

Mais c'est l'option Bourse que le fonds d'investissement semble avoir retenue (voir «En Bourse, Autodis Group changera de destin»). Du coup, le karma d'Autodis Group changera radicalement. De cible alléchante, l'entreprise devient potentiellement prédatrice en se dotant de la même arme de conquête que celle qu'emploient LKQ et son homologue GPC, à savoir le puissant levier financier que leur confère leur présence à Wall Street.

L'indispensable pause s'impose

D'autant qu'Autodis Group pourrait bien profiter d'une période d'accalmie. Car à en croire nos informateurs, il va falloir, bon gré mal gré, que les fantassins de LKQ fassent une pause pour renforcer leur nouvelle base arrière. L'intégration du gigantesque distributeur allemand ne s'annonce pas des plus simples. Malgré le prix du rachat considéré exorbitant , il semblerait que l'Allemand soit une mosaïque organisationnelle qui nécessite quelques efforts de rationalisation avant d'espérer intégrer parfaitement la machine de guerre LKQ.

La question Rema Tip Top

En outre, il faut aussi que LKQ décide du destin de Rema Tip Top, l'équipementier filiale du distributeur germanique. Probablement les stratèges de LKQ sont-ils en l’occurrence face à deux options : le revendre vite pour refinancer immédiatement l'achat du distributeur ; ou, à l'inverse, faire croître et embellir à plus long terme l'entreprise en favorisant ses débouchés au sein du groupe pour encore mieux le valoriser avant de le céder au plus haut. Sans toutefois exclure que le groupe LKQ ne décide finalement de le garder purement et simplement. Peut-être même pour en faire une enseigne paneuropéenne comme c'est le cas en Allemagne...

Mais de toute façon, après que les troupes de LKQ aient ainsi conquis à marche forcée de si vastes territoires en à peine 6 ans, il faut aussi de temps en temps laisser respirer la logistique qui doit s'organiser pour pouvoir suivre. Et même les plus féroces prédateurs, aussi gourmands soient-ils, doivent tôt ou tard prendre le temps de digérer avant de se remettre en chasse...

 

(*)EBITDA : en anglais, «Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization», c’est-à-dire «résultat avant soustraction des intérêts, impôts, dotations aux amortissements et provisions sur immobilisations».

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Jean-Marc Pierret
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