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Prix abusif des pièces captives (suite): une épidémie mondiale?
Publié le 07/06/2018
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Dès lors que l'on comprend que les pièces captives ne sont pas seulement celles bénéficiant d'un monopole à la française, on suit avec intérêt le second volet de l'enquête de Mediapart. Après avoir accusé Renault et le groupe PSA d'avoir abusivement augmenté leurs tarifs grâce à Accenture, le site d'investigation explique comment la fièvre de la hausse des prix a de la même façon gagné toute la planète constructeurs...
Comme nous le pressentions, Mediapart n'en est pas resté là. Nous nous sommes déjà fait l'écho de ses révélations initiales sur les probables excès de tarification des pièces captives de Renault et PSA et des soupçons du site d'information quant au possible risque de partage, volontaire ou non, de leurs stratégies respectives de pricing au travers d'Accenture et de son logiciel-miracle Partneo.
31 constructeurs prospects ou clients
Cette fois, le site d'investigation élargit ses accusations à quelque... 31 marques constructeurs, toutes démarchées par Accenture et qui auraient au moins testé sa solution, affirme notre confrère. A l'appui de sa démonstration, Mediapart publie un document confidentiel interne d'Accenture baptisé «Parts Pricing experience» («Expériences de tarification pièces»). Il cite, logos à l'appui, Aston Martin, Ferrari, Fiat-Chrysler, le Groupe PSA, Honda, Infinity, Jaguar-Land Rover, Nissan, Renault, Volkswagen... Et même le quasi-intrus qu'est l'équipementier indonésien Astra Otoparts.L'enquête de Mediapart donne de nouveaux exemples chiffrés qui illustrent l'internationalisation de l'offre d'Accenture. Depuis 2008, Nissan Europe aurait ainsi réussi à augmenter ses prix de 25% en moyenne (soit 56 millions d'euros par an pour un total cumulé de 500 millions). Aux États-Unis selon d'autres documents détenus par Mediapart, c'est Mopar, la marque de pièces de rechange de Fiat-Chrysler, qui dès 2011 aurait pu accroître sa tarification moyenne outre-Atlantique de 13% pour un gain annuel de 43 millions et un cumul de 420 millions. Sans exclure, mais sans prouver non plus, que Mopar ait pu ensuite mettre Partneo au services d'autres marques européennes de FCA. 2013 aurait ensuite vu l'arrivée de Jaguar-Land Rover : +9%, soit 45 millions par an et un cumul de 200 millions.Des promesses d'augmentations de 10 à 20%
A l'appui de son argumentation, l'enquête publie un autre document commercial d'Accenture adressé à Honda US en 2011. Le cabinet mondial y explique que sa méthode est fondée sur «des bases de données et un process industrialisé ainsi que sur des critères évaluant la valeur perçue des pièces» (voir notre précédent article pour comprendre le fonctionnement de Partneo).Ainsi, Accenture promet un gain annuel potentiel (évaluation «sur des bases empiriques», précise-t-il prudemment) de 15% cette fois encore, soit 15 millions de dollars supplémentaires par an pour Honda America. Mediapart affirme disposer également de «quatre présentations commerciales d’Accenture montrées à Mitsubishi, Volvo, BMW et Honda. À chaque fois, le cabinet promet d'augmenter les tarifs des pièces captives de 10 à 20%, insistant sur le fait que plusieurs grands constructeurs ont déjà profité de l’aubaine».Au moins 5 constructeurs utilisateurs
Si ces constructeurs et bien d'autres ont été démarchés par Accenture, tous ne l'adoptaient pas, précise Mediapart. Ce sera le cas du groupe Volkswagen qui ne donnera pas suite (au profit d'un cabinet allemand mis en concurrence ?). Après avoir testé Partneo en 2011 sur un panel de 1 900 pièces, le constructeur avait pourtant constaté un gain potentiel de 16% rien qu'en Allemagne.Pour l'heure, Mediapart a identifié seulement 5 utilisateurs effectifs de Partneo qui sont donc Renault et PSA, Nissan, Jaguar-Land Rover et l'italo-américain Fiat-Chrysler. Notre confrère précise en outre que «sur sept constructeurs qui ont acheté ou testé le logiciel, cinq d’entre eux se sont vu proposer des hausses extrêmement proches, entre 13 et 16 %».De l'invérifiable collusion...
Bien sûr, Mediapart se garde bien d'accuser officiellement Accenture d'avoir dévoilé aux uns ou aux autres des constructeurs contactés des informations confidentielles susceptibles d'avoir clairement faussé la concurrence.Il en reste donc à constater l'étonnante concordance des gains généralement obtenus ou évalués d'un constructeur à l'autre, toujours similaires à la moyenne de +15% obtenue par Renault comme par PSA grâce à la pertinence de Partneo. Cette constance «suggère que le cabinet [Accenture] a utilisé les mêmes paramètres chez des industriels concurrents», insiste Mediapart. Il affirme qu'à chaque fois, les prospects-constructeurs étaient appâtés par «le même message : “on a déjà réalisé 10 à 20% de hausse chez plusieurs de vos gros concurrents, et on vous propose de rejoindre le club”.»... à la très probable évangélisation
Selon Mediapart, Accenture a été d'autant plus efficace dans sa prospection que, d'après son business plan lié à la reprise du logiciel Partneo en 2010, il calculait alors un prometteur retour sur investissement de 193 millions d'euros sur 5 ans en le plaçant auprès de clients industriels soucieux d'optimiser leur pricing.Et c'est là que Mediapart reprend le fil de sa pensée. L'enquête de notre confrère insiste sur cette bien plus probable évidence : en sensibilisant sans répit tous ces constructeurs sur leurs gisements tarifaires inexploités, Accenture les a massivement mobilisés sur le sujet. Combien se sont-ils ensuite au moins mis à surveiller les hausses des gammes de pièces de leurs concurrents pour ne pas rater une occasion de profiter en partie au moins des 10 à 20% promis ?Car les fournisseurs de bases de données abondent qui, en temps quasi-réel, comparent les références et les prix de tous les acteurs du marché. Dès lors, il suffit à chaque constructeur curieux de mettre sous surveillance les gammes tarifairement porteuses de ses concurrents connus comme clients avérés d'Accenture/Partneo. Il ne reste plus qu'à s'inspirer au mieux des miraculeuses variations, à la hausse comme à la baisse, qui permettent d'exploiter les meilleurs potentiels d'augmentation, de répercuter les baisses à faible impact de chiffre d'affaires pour qu'au global, les hausses "moyennées" demeurent suffisamment modérées pour rester discrètes...Même pas besoin de donner un nom
Le site produit d'ailleurs une autre présentation d'Accenture qui n'a pu que créer le besoin. Destinée à Mitsubishi en 2012, elle égraine une liste anonymisée de clients constructeurs qui, en phase opérationnelle ou en phase de test, obtiennent ou constatent pouvoir espérer +13% à +25%, soit de 5 millions d'euros supplémentaires par an pour un constructeur de voitures de sport jusqu'à +110 millions d'euros pour un généraliste.L'hypocrisie de cette anonymisation n'échappera pas aux directions marketing rompues à la surveillance de leurs environnements concurrentiels, quels qu'ils soient. Le document donne en effet, pour chaque constructeur, son activité de généraliste ou de spécialiste, son chiffre d'affaires pièces optimisé en euros, assorti du pourcentage d'optimisation et du montant du gain.Grâce aux seuls indices de ce document −et même si l'on veut vraiment croire que les consultants d'Accenture n'ont jamais, même verbalement, donné la moindre info sensible−, il ne faut de toute façon guère de temps à l'armée de chefs de produits et de responsables pricing d'un constructeur pour identifier le ou les constructeurs en question. Et donc, pour cibler une surveillance appropriée. «Accenture a informé toute l’industrie qu’il était en train d’augmenter les prix des pièces détachées, résume Mediapart. Avec le risque que les constructeurs qui n’ont pas acheté le logiciel en profitent pour faire de même avec leurs propres méthodes.»La très mondiale notion élargie de pièces captives
Nous avons demandé à Yann Philippin, l'auteur de l'article de Mediapart, des précisions permettant d'évaluer les gains généraux que les constructeurs (ou d'ailleurs les équipementiers impliqués en 1ère monte et en rechange) peuvent ainsi espérer.Il nous confirme d'abord qu'il faut effectivement comprendre le terme de pièces captives au sens large. Il peut s'agir de pièces captives “à la française”, c'est à dire protégées de toute concurrence par un monopole avéré. Mais elles peuvent être concurrencées en restant toutefois "semi-captives" pour les raisons suivantes identifiées par Accenture :- parce qu'elles sont récentes. Elles sont ainsi protégées par des brevets encore inédits et/ou par un marché trop jeune pour être réellement concurrencé ;
- parce qu'elles bénéficient d'un “effet de bloc”. Des pièces captives ou semi-captives sont liées commercialement à d'autres composants qui sont concurrencés mais ne le sont plus de fait ;
- parce qu'elles profitent intrinsèquement d'un “effet valeur” (car le taux de captivité est en % du CA). Les pièces plus chères sont davantage captives...
Les variables "marché"
Résultat : «Selon les estimations réalisées par Accenture, qui figurent dans nos documents confidentiels, le taux de pièces captives, en valeur (en % du chiffre d'affaires) varie, selon les constructeurs, entre 30 et 50% quelles que soient les causes de cette captivité, poursuit Y. Philippin. Il précise aussi que les augmentations préconisées par Partneo varient aussi en fonction de la réceptivité des marchés aux prix élevés des dites pièces captives :- «elles peuvent bondir de 50%, voire plus, lorsque des constructeurs sont forts dans des pays à monopole partiel comme la France,
- elles se contentent de +30% environ sur un marché très concurrentiel comme les États-Unis,
- elles augmentent très faiblement dans les pays émergents (comme l'Inde) où il y a si peu de pouvoir d'achat et donc tellement de débrouille qu'il y a très peu d'opportunité pour des pièces officielles trop chères».
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