Pourquoi Carter Cash veut s'offrir Yakarouler
Complémentarité stratégique et accélération commerciale sont les deux piliers de la reprise-surprise de Yakarouler par le discounter Carter-Cash. Elle s’appuie sur cette “phygitalité” que tout le marché de la pièce et des prestations a pris pour omnipotente boussole. Mais si les potentialités sont évidentes, la greffe prendra-t-elle ?
Fin du long suspense sur le destin de Yakarouler. Carter-Cash vient d’émerger d’une touffue forêt de repreneurs possibles, probables ou improbables. Il s’offre, à la barre du tribunal, le site de vente de pièces en ligne. Ou plutôt s’en retrouvera-t-il officiellement propriétaire le 1er juin prochain de façon rétroactive puisque le dossier sera définitivement finalisé quelques jours plus tard.
La filiale de Mobivia aux 71 magasins discount en pièces et prestations courantes très limitées (montage de pneus et réparations de crevaisons, vidange/filtres et pose de plaques d’immatriculation), trouve ainsi un logique débouché digital “clés en main” à ses points de vente physiques. Mobivia, qui n’a pas encore vraiment prouvé la pertinence BtoB d’Originauto, intègre le site pro.yakarouler.com créé en 2013. Et bien sûr, une compétence digitale BtoC qui devrait profiter à l’ensemble des 2 060 ateliers et centres auto dans 18 pays. Carter-Cash n’est évidemment pas un novice en ventes de pièces en ligne. Son site permet d’accéder à 4 000 références physiques et 50 000 en ligne (pneus, principales gammes de pièces courantes, d’outillage et d’accessoires) que les internautes do-iteurs peuvent basiquement rechercher. Mais avec l’hyper-spécialiste qu’est Yakarouler en matière digitale, Carter-cash va pouvoir ainsi ajouter à son offre pièces les 2,5 millions de références en ligne que revendique le 3ème pure-player français de l’auto.
Un nouvel avatar de l’ère phygitale
Le réseau de magasins espère bien en profiter pour passer en vitesse-lumière en BtoC. Comment ? Carter-Cash a historiquement fondé son développement sur le maillage physique de magasins avec un succès certain : 111 M€ de CA pour 53 magasins en 2016 ; 131,5 M€ pour 63 en 2017 ; 155 M€ pour 70 en 2018 et 176 M€ pour 74 en 2019. Le tout, en dégageant chaque année un résultat net dépassant les 2,5 M€. A ses click & collect (livraison sur le point de vente) et click & fit (livraison et montage sur le point de vente), Carter-Cash veut maintenant accélérer cette livraison à domicile (click & delivery) qu’il initiait en 2019. Et c’est bien sûr un territoire où excelle par définition le pure-player Yakarouler. Argumentaire de Carter-Cash dans son offre au tribunal de Commerce.
- Compléter digitalement un maillage physique insuffisant
Carter-Cash va probablement gagner de fait un 72ème magasin avec le siège de Yakarouler à Thiais, dans un val-de-Marne où il n’est pas encore présent. Yakarouler y associe en effet un comptoir de pièces à un atelier de prestations, activités qui s’inscrivent naturellement dans le concept du réseau de centres discount. Ce local constitue à lui seul une opportune cerise physique sur le gâteau digital. Il ne sera pas malvenu dans une croissance de maillage interrompue durant cette année pandémique. L’an passé, deux nouveaux sites seulement ont été inaugurés, quand le rythme annuel moyen oscillait plutôt entre 6 et 8 ouvertures. L’apport de Yakarouler est hautement stratégique pour Carter-Cash qui a expliqué au tribunal qu’avec ses 71 implantations, il ne couvre encore que 50 % du territoire national.« Le développement de l’activité Click & Delivery via l’intégration des activités de [Yakarouler] vise à répondre à ce potentiel évident », a ainsi précisé le repreneur dans son offre de reprise initialement soumise au tribunal.
- Le “réseau secondaire” des garages partenaires
Il souligne évidemment la grande compatibilité entre l’offre remisée de Yakarouler et un Carter-Cash qui se définit comme « le bon plan sympa pour optimiser le budget de tous les automobilistes ». En outre, le réseau de 600 garages-partenaires qu’a su fédérer Yakarouler « constitue également un accélérateur pour offrir aux clients Carter-Cash une solution de montage pour les produits achetés chez [lui], aussi bien en e-commerce qu’en point de vente physique », poursuit-il. Des réparateurs d’autant plus bienvenus qu’ils sont susceptibles de tirer et d’écouler une part de ces 2,5 millions de références dont Carter-Cash hérite dans l’opération. Et la meilleure part : beaucoup sont en effet bien plus techniques et plus chères que celles de son catalogue actuel…
- Un opportun CA complémentaire
Si les voies d’avenir sont donc pavées de bonnes intuitions, l’opération a également des vertus bien plus pragmatiquement immédiates. L’apport de Yakarouler permet de rattraper le temps et les volumes perdus par le retard de maillage de Carter-Cash et la chute probable de son CA 2020. L’activité du site de vente en ligne, malgré les faibles 14 M€ de CA que lui a concédé cette année 2020 dévastatrice (10 M€ évaporés), est évidemment bienvenu pour un Carter-Cash habitué à des progressions de plus ou moins 15 % chaque année. A condition bien sûr que la greffe digitale prenne sur l’arbre de la filiale Mobivia. PHE en son temps a montré qu’il ne suffit pas de racheter un Oscaro pour en sortir une rentabilité miraculeuse. Il lui avait fallu passer par le douloureux préalable de quelque 26 millions d’euros remboursés pour éteindre les litiges avec 500 000 clients mécontents. Et il lui a aussi fallu deux ans pour ramener le paquebot à une ligne de flottaison rassurante.
- Ré-investir pour relancer l’activité
Rien de tel évidemment chez Yakarouler qui était 10 fois moins gros qu’Oscaro au temps de leurs splendeurs respectives. Il est vrai aussi que le prix de rachat consenti -300 misérables milliers d’euros si nos sources sont bonnes- en laisse sous le pied du géant Mobivia aux 2,9 milliards d’euros de CA (à fin septembre 2020). 1,2 million d’euros vont être immédiatement insufflés pour assurer notamment les besoins fonctionnels en trésorerie. Car il faudra probablement injecter beaucoup d’argent dans ce site que Carter-Cash veut ramener à 26 M€ de CA et à la rentabilité en 3 ans. Parce que l’activité est structurellement consommatrice de recherches, d’investissements et de développements ; et parce que Yakarouler a tout de même accumulé plusieurs millions de dettes au fil de difficultés dont Carter-Cash rappelle les principales étapes dans son document : ventes impactées en 2015 et 2016 « en raison de problèmes techniques sur son catalogue en ligne » et « de lourds problèmes d’infrastructure informatique » ; pricing agressivement déstabilisant du temps de l’Oscaro “pré-PHE” quand ce dernier cherchait sans succès la quadrature d’un cercle vertueux voulant associer parts de marché et rentabilité ; sans bien sûr oublier ce « rapprochement avorté avec le groupe Alliance Automotive Group en juillet 2017 [qui ] a impacté de manière significative le développement […] et [la] trésorerie ». La pandémie et les peu productives valses-hésitations de repreneurs putatifs n’avaient alors plus qu’à ruiner les derniers espoirs de Yakarouler…
Avec ou sans l’équipe Yakarouler ?
Carter-Cash va évidemment obtenir l’effacement d’une partie des dettes, dont tout ou partie du PGE et des créances fournisseurs qui vont bien sûr grandement manquer aux malchanceux. Mais malgré cela, la route s’annonce encore longue pour le nouvel attelage. Il faudra bien sûr que la greffe digitale prenne sur l’arbre Carter-Cash. Il y a parfois loin du plan à la réalité. Il faudra aussi que le repreneur résiste à une possible tentation corporate de vainqueur visant à effacer le nom -et le référencement- de Yakarouler au profit du seul Carter-Cash.
Reste enfin la question des compétences internes. A l’heure où nous bouclions ces lignes, Yann Gyssels, le fondateur et développeur du site, était injoignable. Quand à Lily Marjorie Poprawski, CEO et directrice e-commerce de Yakarouler, elle refusait obstinément tout commentaire. Impossible donc de savoir s’ils accompagneront, eux et l’équipe de 27 salariés du site, la reprise-redressement de Yakarouler. Carter-Cash saura-t-il éviter que le site ne se vide trop brutalement de son indiscutable et nécessaire substance historique ?
Comme d’habitude, nous vous tiendrons au courant…