J. Morbe, Bridgestone : « La dégradation du poids du premium en France est un vrai sujet de réflexion pour tous »

Muriel Blancheton
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Joel Morbé, Bridgestone

Un marché tumultueux mais aux leviers parfaitement identifiés ! Joël Morbe analyse rationnellement l’année écoulée en pneumatiques en ayant déjà saisi les clés qui lui ouvre la porte de nouveaux business : opportunités du véhicule électrique, poussée du Quatre Saisons et un positionnement stratégique sur l’économie circulaire. Et si le directeur Consumer chez Bridgestone constate l’avancée inexorable du Medium au détriment du Premium, des solutions existent pour ralentir son incursion…

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Tout d’abord un adjectif pour résumer le marché en 2021 et 2022 ?

Joël Morbe : Je dirai morose ! Certes, après les coups d’arrêt imposés en 2020, l’effet de rattrapage en 2021 pour toute la chaîne et l’anticipation de la loi Montagne ont redopé le marché ! Au premier semestre 2022, le sell-in a encore été boosté par une distribution qui a surstocké dans un contexte de hausse des prix des manufacturiers, qui ont répercuté la hausse des coûts des matières premières, de l’énergie et des transports (+ 22 % en moyenne). Le reste n’est qu’une suite de désillusions avec une situation de déstockage, un sell-in au ralenti (- 3,2 % en fin d’année selon Europool et GfK) et un sell-out en retrait. Non seulement l’absence de sanctions sur les équipements Hiver a été contreproductive, mais les conditions climatiques douces ont freiné les ventes. Résultats : - 9,1 % (67,3 % du marché) pour le pneu Été, - 26,9 % pour le pneu Hiver tombé à 7,5 % du marché contre 15 % habituellement. Le 4S a progressé (+ 23,9 %) tout en ralentissant sa course (25,2 % du marché). Le tout avec des stocks encore élevés chez les distributeurs sur le reste de l’année. Rien que sur octobre, les ventes TC4 tous segments confondus sont tombées  à - 17,4 %, les pneus Hiver à - 30,8 % et les pneus Toutes Saisons à - 7,1 %. La période actuelle est encore ponctuée par la hausse des prix de l’énergie (gaz et électricité) et les états-majors industriels planchent sur cette équation qui plombe le coût de fabrication d’un pneu, et qui se répercute dans son prix de vente. 
* Source : Panel Sell Out GfK/Syndicat du Pneu 2022 
 

Quels tendances pouvez-vous extraire dans ce contexte ?

J. M. : Je vois trois facteurs majeurs qui ressortent : tout d’abord, l’introduction du véhicule électrique et son incidence croissante sur le pneumatique, avec un mix diamètre qui évolue très vite au-delà du 17'' et plus. Ensuite, le All Season qui explose les ventes et prend des parts de marché sur le pneu Hiver. Enfin, et par voie de conséquence, l’avancée du segment Medium au détriment du Premium. Ce dernier est tombé de son piédestal pour arriver à 56 % de pénétration en France, d’après mes derniers chiffres. Cette dégradation du poids du Premium en France est un vrai sujet car sa valeur est plus rentable qu’un Medium qui lui-même est plus rentable qu’un Budget… Cette érosion au profit des deuxièmes lignes est un vrai sujet de réflexion pour tous. 

Le glissement du Premium signifie-t-il le risque d’une perte en valeur du marché ?

J. M. : Disons que l’élasticité des prix confrontée à une demande en berne jouent en sa défaveur et accentue le risque d’érosion déjà observée. Passer des hausses en continu est contreproductif voire potentiellement dangereux si l’on veut préserver la part de marché du Premium et les marges qu’il génère. Chez Bridgestone, pour éviter ce phénomène, nous contenons nos dépenses en distribution, autant que possible ! Nous avons ainsi limité nos coûts logistiques en livrant différemment (augmentation du drop moyen), optimisé les tournées et le transport en rallongeant les livraisons (en passant de J+1 à J+2 par exemple), en regroupant des commandes, en revoyant nos dépenses en marketing… Le but est bien de défendre le positionnement Premium dans nos gammes. 

L’évolution du pneu pour VE est très significative d’un marché en mutation, au moins en valeur.

Le véhicule électrique fait partie des tendances. Serait-ce le Graal du manufacturier ?

J. M. : Nous n’en sommes qu’au début, mais l’évolution du pneu pour VE est très significative d’un marché en mutation, au moins en valeur, ce qui est intéressant pour tous les manufacturiers et la distribution. C’est un vrai changement de profil, sans jeu de mots ! Le véhicule électrique est un consommateur de gomme du fait de son couple et de son poids. Nous développons des produits adaptés donc différents, avec beaucoup de R&D prenant en compte ses contraintes pour assurer sa durabilité. La durabilité d’un pneumatique est depuis toujours dans les gênes du manufacturier japonais. Elle est complémentaire des éléments de sécurité sur lesquels nous travaillons comme les performances sur route mouillée, qui est l’attente numéro un des automobilistes.

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Slide Gipa sur VE pour Bridgestone

On parle beaucoup d’économie circulaire et de production vertueuse. Est-ce antinomique dans l’industrie du pneumatique ?

J. M. : Au contraire, nous prouvons que nous sommes bien dans cette boucle ! Toutes nos usines dans le monde sont quasiment autonomes en production d’électricité et dans le recyclage des eaux (Italie, Hongrie, États-Unis…). Nos sites seront tous neutres en production carbone en 2050. Nous avons mis en place des process dans les cycles de production afin qu’ils soient les plus vertueux possible. Cela ne date pas d’hier ! Aujourd’hui, nous sommes même certifiés ISCC sur plusieurs sites (introduction de matières durables dans la chaîne). D’ailleurs lors de nos deux périodes de négociations annuelles avec nos clients, nous rappelons notre dimension écologique, avec nos lieux de fabrication, notre R&D numérique, nos process… L’enveloppe est elle-même un concentré de ces recherches avec des matières premières durables, moins énergivores et éco-sourcées notamment avec le guanule, un caoutchouc naturel.

Pour un MRA, il n’a jamais été aussi facile que de s’approvisionner en pneus !

Le pneu VL d’occasion peut-il faire partie de cette stratégie écologique ?

J. M. : C’est un vaste débat. Il y a un antagonisme entre le pneu d’occasion et des éléments liés à la sécurité du véhicule. On parle d’une enveloppe qui a déjà roulé, subi des chocs éventuels, avec un roulage peut-être non conforme (train avant mal réglé… ). L’économie circulaire autour du pneumatique d’occasion doit être extrêmement rigoureuse, tout comme l’est déjà le rechapé d’ailleurs. Sa remise à la route nécessite un flot de contrôles qualité très stricts. La distribution doit être consciente de son rôle de garante sur la sécurité du véhicule, avec des pneus conformes.

Le MRA a-t-il lâché puis repris le business du pneu à un moment donné de son histoire ?

J. M. : Le pneu a peut-être été un passage obligé pour certains indépendants, sans passion ni envie particulière. Mais aujourd’hui, ce n’est plus la cas ! Depuis quelques années, tous ont un sourcing facilité par les plateformes et le travail de leurs propres grossistes, des prix d’achat et des délais, une visibilité sur les stocks et les prix de revente… Certains distributeurs sont mêmes capables de livrer à J+0 sur tout le territoire ! Pour un MRA, il n’a jamais été aussi facile de s’approvisionner en pneus. Et ils sont poussés par leur enseigne qui ont fait du pneu un accélérateur de trafic dans les ateliers et qui se sont tous fortement professionnalisés sur le sujet. 

Que faites-vous pour aider ces pros à vendre mieux ?

J. M. : Nous vendons majoritairement en direct aux négociants spécialistes, mais nous travaillons également le circuit des grossistes pour augmenter notre visibilité auprès de leurs réseaux.  Ce qui signifie que nous devons être présents sur toutes les plateformes de ces derniers, via des accords nationaux. Nous multiplions les opérations promotionnelles, aides à la vente, tournées accompagnées, webinaires… L’accessibilité vers notre marque est le nerf de la guerre. On doit trouver du Bridgestone partout, et cela passe par de bons accords avec les bons grossistes qui irrigueront le marché ensuite avec notre marque.

L’offre Pièces et Pneus de certains acteurs est une vraie tendance ?

J. M. : Elle permet dans tous les cas de proposer une offre globale pour le réparateur et de rationaliser une tournée en faisant baisser les coûts de transport. Livrer deux pneumatiques avec les pièces permet d’amortir les coûts. Et la centralisation des références permet d’optimiser le stock et d'éviter les grosses ruptures. Une stratégie très pertinente.

Muriel Blancheton
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