« Limiter nos innovations aux seuls véhicules électriques serait une erreur stratégique »
Sur un marché du remplacement rebondissant, la déferlante asiatique et la somme d’injonctions environnementales obligent Michelin à s’adapter en continu, jusqu’à cette alliance révolutionnaire et mondiale autour de la puce RFID… Interview exclusive de Gary Guthrie, Senior VP automotive Glogal Brands Business Line chez Michelin.
Quelques chiffres sur les résultats mondiaux de Michelin en 2024 en tourisme et camionnette ?
Gary Guthrie : En cumulant les neuf premiers mois de l’année, le marché OE est dans le rouge avec une baisse de 3 % et quelques disparités par région* : - 6 % en Europe, - 1% en Amérique du Nord, - 5 % en Amérique du Sud puis - 2 % en Afrique et Moyen-Orient et - 8 % dans les pays asiatiques hors Chine – le marché y a cru de 1 %. La première monte est par essence cyclique, nous sommes donc sur un point bas. Et combiné à une somme de facteurs négatifs, le cocktail est plutôt amer : transition environnementale, stagnation du marché chinois, pouvoir d’achat en berne et incertitude en hausse chez le consommateur quant au choix de sa motorisation. Nous savons tous que sur un marché subventionné comme peut l’être le véhicule électrique, la fin des aides publiques fait chuter les ventes de véhicules électriques au bénéfice des hybrides d’ailleurs ! En remplacement, le marché est + 3 %, tiré par l’Europe avec une croissance de 7 %, l’Amérique du Nord est à + 3 % et la Chine est à -1 %. Sur le seul périmètre des véhicules légers (50 % des ventes), le CA global sur neuf mois est de 10,3 Md€ (- 2,4 % vs 2023).
Comment expliquer ce rebond en remplacement ?
G. G. : Un marché vieillissant et croissant, un kilométrage annuel qui revient à son niveau d’avant-crise (2019) et, dans les ateliers, un effet de rattrapage des renouvellements ! Résultat : une croissance du marché en sell-out pour les distributeurs. Mais attention, ce phénomène, particulièrement observé en Europe qui a agi en locomotive, va revenir à une certaine normalité car il y a également un mécanisme de cycle en remplacement. La Chine déçoit par ses résultats dans un contexte difficile pour les consommateurs, malgré les tentatives du gouvernent pour redémarrer la consommation.
Comment résiste Michelin face à la vague de pneumatiques asiatiques qui déferle en Europe ?
G. G. : La surcapacité de production en Chine et la fermeture de certains marchés, comme aux États-Unis, conduisent en effet à cette vague d’enveloppes chinoises en Europe, en particulier pour le parc ancien. Notre système de défense face à cette déferlante consiste à fabriquer des enveloppes qui offrent plus de performances pour plus de kilomètres (sécurité, adhérence, abrasion, baisse de la résistance au roulement, durabilité…). Même creusé à 1,6 mm, un pneu Michelin garde un niveau de performance à l’état usé qui peut même dépasser le niveau de certains pneus neufs. Par ailleurs, nous observons une tendance particulièrement visible et durable qui renforce la valeur de notre industrie : l’augmentation récurrente des pneumatiques premium de 18’’ et plus (pour les SUV par exemple), avec une croissance moyenne de 9 % par an. Nous sommes parfaitement en ligne avec ces résultats.
Quels sont vos investissements pour répondre aux injonctions environnementales ?
G. G. : Réduire l’empreinte carbone est en effet un enjeu très important et Michelin a considérablement investi dans l’amélioration de son impact environnemental tout au long du cycle de vie de ses pneus. De l’approvisionnement en matières premières à la fabrication, en passant par le transport, l’utilisation, la collecte et la valorisation, chaque étape a été optimisée pour minimiser son empreinte écologique. Plus de 80 % de l’impact environnemental d’un pneu provient de sa phase d’usage, en grande partie à travers sa contribution aux émissions de CO2 du véhicule et des émissions de particules d’usure. Ces enjeux sont désormais pris en compte par les autorités réglementaires, qui instaurent des normes de plus en plus strictes.
Michelin a ainsi réduit la résistance au roulement de ses pneus, abaissant cette valeur de 12 kg à 5 kg par tonne. Une étude récente menée par l’ADAC a également démontré que la résistance à l’abrasion des pneus Michelin est supérieure de 28 % à la moyenne des autres fabricants. Une avancée qui témoigne de l'engagement du groupe envers la durabilité et l'innovation dans l’industrie du pneu.
Quels sont les enjeux majeurs au niveau mondial qui se dressent devant Michelin ?
G. G. : La mobilité individuelle durable est le défi majeur de l’industrie automobile ! Le véhicule électrique apparaît comme une solution incontournable à long terme, mais il ne représente aujourd’hui que seulement 2 % du parc roulant mondial et devrait atteindre entre 10 et 12 % d’ici 2030. Mais la contribution du pneu à la durabilité va bien au-delà de l'impact du véhicule électrique : la résistance au roulement des pneus représente environ 20 % de la consommation énergétique d’un véhicule, ce qui entraîne une proportion significative des émissions de CO2 et des coûts opérationnels. Les émissions de particules générées par l'usure des pneus sont équivalentes à celles d’un moteur thermique Euro 6 ! Dans ce contexte, Michelin met l’accent sur le déploiement de ses technologies à l'échelle la plus large possible. Limiter ces innovations aux seuls véhicules électriques serait une erreur stratégique. C'est pourquoi tous les pneus Michelin sont désormais “EV Ready“, permettant aux consommateurs de choisir le pneu le plus adapté à leurs besoins, tout en simplifiant l'offre pour les distributeurs, sans nécessiter de gammes spécifiques EV.
Les alliances, à l’image de GDSO** pour placer une puce RFID dans chaque pneu et dont Michelin est un membre actif, sont-elles l’une des clés pour pérenniser le business ?
G. G. : C’est le sens de l’histoire ! Michelin, Pirelli, Goodyear, Bridgestone et Continental ont ouvert la voie il y a deux ans en créant GDSO. Il s’agit d’une donnée normée, intégrée dans une puce RFID (Radio Frequency Identification), elle-même incrustée dans le flanc du pneumatique. Elle permettra de suivre chaque enveloppe tout au long de sa vie (fabricant, numéro de série), de sa fabrication à son usage jusqu’à sa valorisation et/ou destruction. Cette puce va permettre de faire un bond technologique majeur à l’ensemble du marché rassemblé autour de GDSO. À condition que l’ensemble des acteurs se convertissent !
*Source : rapport financier Michelin
** Global Data Service Organisation