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Thierry Leblanc (Bosch) : « La bataille se joue tous les jours sur le terrain »
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Quels sont les effets de la concentration de la distribution sur Bosch ?
Thierry Leblanc : Nous travaillons avec LKQ Europe, PHE, AAG… Des acteurs ayant déjà cristallisé leur stratégie de groupe sur les négociations achats, et travaillant à présent d’arrache-pied pour homogénéiser leurs organisations. À commencer par leurs ERP (systèmes informatiques) pour unifier leurs collections, leurs indicateurs de performances… Pour répondre à ces gros clients, nous avons mis en place des équipes européennes Grands Comptes et avons européanisé la partie logistique et marketing. Nous devions passer en mode Europe. Autre pierre angulaire de cette harmonisation : la data. Avoir une base de données avec l’assortiment produits, les informations formatées… Sur ce segment, nous sommes en ordre de bataille car nous avons centralisé nos data managers dans une seule et unique structure qui concentre ces données et les restitue ensuite pour chaque client. Du sur-mesure. Chaque pays a ses propres attentes en termes de stock, de logistique, de business… Nous sommes également dans une logique de « price corridor », sachant que le sujet est compliqué. Là aussi, les attentes diffèrent selon les pays. Mais il faut clarifier les choses, une grosse partie des décisions sont prises en local : la Fiat 500 n’est pas forcément le fast-mover de Fource/Sator aux Pays-Bas, mais elle peut l’être pour Rhiag en Italie. En clair, il y a de grandes tendances en Europe en termes de concentration, mais la bataille se joue tous les jours sur le terrain.
Quelle est votre vision de l’évolution du marché européen ?
T. L. : Une poignée d’acteurs qui représentent 15 % du marché et le reste qui est encore hyper fragmenté et très local, comme en Espagne et en Italie. Il reste beaucoup d’entreprises à capitaux familiaux, ce qui posera la question de la succession à terme. Dans certains pays, la distribution demeure à quatre étages, comprenant le grossiste, le jobber, la plateforme, le Web. En France, nous avons également ce système, sauf que bon nombre de plateformes ont été intégrées dans des groupements puisque le marché français est détenu à 80 % par deux ou trois acteurs. On parle souvent du débarquement d’Américains sur le sol européen. En termes de croissance, il y a peut-être des marchés plus attractifs ! Le format d’AutoZone, avec qui nous travaillons aux États-Unis, est hybride, car scindé entre le retail et la distribution traditionnelle. Je ne vois pas comment il pourrait s’insérer sur notre continent. O’Reilly Automotive est très ancré aux États-Unis. À voir.
On parle beaucoup de l’européanisation de la pièce chez les distributeurs traditionnels. Les acteurs du retail se sont-ils également mis en mode « Europe » ?
T. L. : Et cela va même plus vite ! Il suffit de voir l’évolution de Mobivia, avec une structure couvrant l’Europe, ou comment le groupe français a remonté l’allemand ATU en deux ans. L’enseigne aux 650 centres était moribonde, essorée par son ancien propriétaire, et elle a repris vie parce que Mobivia connaît son métier sur le bout des doigts. Il a remis de l’énergie, du cash, regonflé les stocks et les équipes… C’est de nouveau une machine de guerre ! Carglass possède également une superbe logistique, sur un seul créneau, mais c’est là leur valeur ajoutée. C’est également pour ces groupes que nous avons mis en place nos équipes Grands Comptes, car nous devons les accompagner, qu’ils soient spécialisés ou diversifiés comme les pneumaticiens (Euromaster, Point S), voire dans la grande distribution comme Carrefour ou Auchan… Ces acteurs ont déjà des ERP harmonisés, ne négocient que sur des contrats européens. Ils ont verticalisé leurs fonctions vers des réseaux leur appartenant en majorité (80 % des centres Mobivia sont intégrés).
Quid du business online ?
T. L. : Notre stratégie Web a légèrement évolué. Disons qu’aujourd’hui, nous nous positionnons chez des acteurs du business online avec une éthique et une ligne stratégique transparentes. Bosch ne souhaite pas vendre à des clients finaux qui travaillent « au noir » par exemple. Nous privilégions des sites comme eBay ou Amazon pour mettre en vitrine notre marque, notre technique, nos produits… Et nous travaillons avec Oscaro depuis sa reprise par de vrais pros comme PHE ! Nos équipes européennes aident ces sites à interfacer nos data avec les leurs. Nous travaillons également sur la logistique. Amazon ne travaille pas au-delà d’un poids de carton supérieur à 15 kg par exemple. C’est une vraie révolution chez nous ! Nous voyons émerger d’autres acteurs en ligne. Autodoc est par exemple très présent en Allemagne. Mais on ne connaît pas bien l’historique ! Nous ne travaillerons pas avec lui.
Sur quels dossiers OE planche l’équipementier, et quels seront les impacts en IAM ?
T. L. : Nous avons signé une trentaine de projets pour 1 Md€ dans l’électromobilité. Notre axe, c’est le sans-accident, sans-émission et sans-stress. Cette « punchline » synthétise toutes nos compétences : assistance à la conduite, électrification (électrique, hydrogène, hybride, biocarburant…) et connectivité. On compte jusqu’à 65 capteurs sur la nouvelle Classe S de Mercedes. Un point essentiel pour les carrossiers ! À horizon 2030, un utilitaire sur quatre sera électrifié ! Un facteur important car il va falloir prendre en compte la mobilité en zone urbaine et péri-urbaine. Il faut apporter des solutions aux pros dans la gestion du dernier kilomètre. Nous travaillons sur la cybersécurité en développant des systèmes de sécurisation des transferts de données du véhicule vers les plateformes. Et nous avons lancé en 2018 la première batterie 48V pour une production en série en Chine… Je veux souligner que ces grandes tendances qui s’installent en OE ne doivent pas déstabiliser l’aftermarket car il y a un temps pour tout. Les choses vont bouger après 2025, ce qui laisse cinq ans aux pros pour se préparer à accueillir les véhicules électrifiés. Il faut les accompagner, les former (17 000 Bosch Car Service dans le monde, dont 7000 en Europe et 600 en France). Mais il ne faut pas paniquer.
Muriel Blancheton
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