Appros : quand LKQ Europe tance ses fournisseurs…
Cette fois, les tensions sur les approvisionnements dues aux perturbations de la supply chain mondiale atteignent bel et bien les grands distributeurs. Et ils semblent commencer à s'en inquiéter. Témoin, ce récent et pour le moins ferme courrier transmis par LKQ Europe à ses partenaires fournisseurs auxquels il demande... de le servir en priorité.
Alors que la plupart des activités rechange des grands équipementiers - et donc des grands distributeurs- s'apprêtent à boucler une année 2021 au-dessus du chiffre d'affaires de 2019 -et parfois avec une croissance à deux chiffres- la distribution s'inquiète pourtant de taux de services parfois dramatiquement bas. S'il fallait encore une preuve que la crise d'approvisionnement s'aggrave en rechange automobile (voir « Une flambée des prix pour des marges anti-incendies ? »), ce récent courrier de LKQ Europe à ses fournisseurs l'apporte assurément. Un courrier de poids car signé par le président Arnd Franz, le patron des achats Ferdinando Imhof et la patronne de la logistique Claudia Martins (voir traduction intégrale sous cet article).
Le leader européen en aborde les raisons macro-économiques dès le début de sa missive. « La supply chain mondiale pose des défis historiques par le manque de capacité de conteneurs, l'augmentation des taux de fret et la rareté des matières premières comme l'aluminium ou les sous-composants tels les semi-conducteurs ».
La preuve, là encore, que malgré les messages rassurants des groupements sur le niveau de leurs stocks et la solidité de leurs partenariats, les tensions s'accroissent dangereusement. L'Europe n'échappe pas à des taux de service de fournisseurs qui se sont effondrés partout dans le monde. En France, certains équipementiers sont tombés sous les 20 % de taux de service ; ceux qui dépassent les 50 % sont classés bons élèves.
Très chère Europe...
L'Europe est évidemment stratégique pour le géant LKQ. Il est venu sur notre continent attiré par ses marges bien plus grasses qu'aux États-Unis (voir « Comment et pourquoi LKQ aime tant l’Europe de la pièce »). Dans son récent communiqué 9 mois, sa filiale européenne se félicitait d'un business 2021 à +12,4 % (4,54 Md$, soit 3,9 Md€) et un objectif de marge EBITDA revu à la hausse entre 9,8 à 10,3 %.
Toutefois, ses actionnaires et ses acheteurs s'inquiètent visiblement de la quadrature d'un cercle aussi détestable que grandissant : des livraisons erratiques doublées de prix croissants, donc moins de volumes de ventes à des prix d'achat non-maîtrisables. LKQ va donc droit au but. « Au cours des dernières semaines, nous avons vu les premiers signes montrant que nos niveaux de service à nos clients commencent maintenant à être affectés par le manque de service de votre part ! » (souligné dans le texte). Il ajoute plus loin que le manque de fiabilité des approvisionnements « affecte le succès et la réputation de nos 127 000 clients dans 20 pays européens ». Comprendre que les ventes manquées commencent à se sentir sur le terrain...
Prioriser LKQ
Viennent ensuite les fortes recommandations aux amis fournisseurs invités à activer fissa les leviers suivants : « diversification en amont des matières premières et des approvisionnements en sous-composants, renforcement des prévisions et de la planification de la production, gestion des exceptions ». L'énumération se conclut surtout sur cette exigence assez inédite: la « priorisation des commandes LKQ », là encore souligné dans le texte.
Comme la confiance n'exclut jamais le contrôle, LKQ annonce que, dans les prochaines semaines, ses équipes vont « donc sensiblement resserrer et contrôler [leur] gestion de la performance logistique des fournisseurs ». Avec une menace même pas voilée : « Nous vous contacterons pour négocier/renégocier nos accords de niveau de service, en réduisant le délai accordé à vos retards d'expédition, en éliminant les tolérances pour les écarts de quantité et de calendrier et en augmentant considérablement les pénalités en cas de sous-performance causant des inefficacités, du gaspillage et de l'insatisfaction en aval. Nous porterons notre relation à la pratique normale de l'industrie dans le secteur automobile ».
Voilà en tout cas les équipementiers prévenus. Pour ne pas voir se durcir les conditions accordées par le leader européen LKQ en échange des volumes que lui seul, fort des plus de 5 milliards de chiffre d'affaires annuels réalisés sur notre vieux Continent, semble pouvoir garantir, ses fournisseurs n'ont qu'une alternative : augmenter leur qualité de service à une époque où cela semble durablement impossible ; ou donc, déshabiller les autres distributeurs pour mieux habiller LKQ.
Ça ne doit guère sourire chez les équipementiers...
Traduction de la lettre de LKQ à ses fournisseurs
“Cher partenaire fournisseur,
“Les économies européennes ont toujours du mal à maîtriser l'impact de la crise du covid et - tout particulièrement - la supply chain mondiale pose des défis historiques par le manque de capacité de conteneurs, l'augmentation des taux de fret et la rareté des matières premières comme l'aluminium ou les sous-composants tels les semi-conducteurs. En tant que partenaires fournisseurs de LKQ, vos équipes font de leur mieux pour relever ces défis et sont motivées à remplir vos obligations selon les accords de niveau de service entre nos entreprises.
“Malheureusement, LKQ constate une nouvelle détérioration des performances logistiques déjà décevantes des équipementiers dans tous les domaines. Jusqu'à présent, nous avons pu protéger nos niveaux de service client tout au long des blocages, des grèves, des restructurations, du Brexit, des pénuries de chauffeurs et des inondations avec des engagements élevés sur les stocks, un engagement exceptionnel de nos équipes et le soutien de nos clients. Au cours des dernières semaines, nous avons vu les premiers signes montrant que nos niveaux de service à nos clients commencent maintenant à être affectés par le manque de service de votre part !
“L'excellence logistique et la fiabilité sont nos compétences clés. Il n'est pas acceptable que nous continuions de constater que niveau d’approvisionnement ne respecte pas les normes de l'industrie et que le manque de fiabilité affecte le succès et la réputation de nos 127 000 clients dans 20 pays européens.
“Dans les semaines à venir, nous allons donc sensiblement resserrer et contrôler notre gestion de la performance logistique des fournisseurs. Nous vous contacterons pour négocier/renégocier nos accords de niveau de service, en réduisant le délai accordé à vos retards d'expédition, en éliminant les tolérances pour les écarts de quantité et de calendrier et en augmentant considérablement les pénalités en cas de sous-performance causant des inefficacités, du gaspillage et de l'insatisfaction en aval. Nous porterons notre relation à la pratique normale de l'industrie dans le secteur automobile.
“Nous recherchons des fournisseurs de classe mondiale. Si vous identifiez des potentiels d'amélioration dans votre chaîne de valeur, il est grand temps d'agir. Vous savez maintenant comment améliorer vos performances. Quelques domaines à considérer : diversification en amont des matières premières et des approvisionnements en sous-composants, renforcement des prévisions et de la planification de la production, gestion des exceptions et priorisation des commandes LKQ.
“Nous sommes conscients que le marché secondaire indépendant offre probablement à votre entreprise une rentabilité bien supérieure à la moyenne. Nous pensons que le moment est venu d'en tenir compte dans la priorisation de votre allocation de capacité. Alors que nous consolidons notre niveau d'approvisionnement et transférons une plus grande part de nos achats vers votre entreprise, nous devrons tenir compte de votre capacité à livrer au fur et à mesure que nous allouons nos volumes.
“Faites-nous savoir comment nous pouvons vous soutenir dans vos efforts pour répondre aux attentes de LKQ. Nous serons heureux de répondre à vos questions et de travailler avec vous sur la voie de l'excellence.
Arnd Franz, CEO LKQ Europe
Ferdinando Imhof, CPO LKQ Europe (NdlR : directeur des achats)
Claudia Martins, VP Logistics & Supply Chain LKQ Europe