Pièces captives : adieu monopole, bonjour résistances ?
Intitulée “Adieu monopole, bonjour business ?”, la table ronde sur la libéralisation des pièces captives qui s’est tenue au CDA le 2 décembre a surtout révélé les options dont disposent encore les constructeurs pour maintenir leur prépondérance sur le marché, en particulier le droit des marques et les multiples royalties qu’ils appliquent aux équipementiers première monte.
« L’harmonisation des législations sur la protection des dessins et modèles est le plus vieux dossier ouvert au niveau de l’Union européenne. » Hartmut Röhl, président d’honneur de la Figiefa, qui représente les distributeurs de pièces au niveau continental, n’est pas allé par quatre chemins au moment d’ouvrir la première table ronde du dernier Club de la distribution automobile (CDA), organisé par la Feda le 2 décembre. Malgré l’entrée en vigueur de la loi “Climat et Résilience” l’été dernier, avec son libéralisateur article 32 ouvrant progressivement le marché à la concurrence dès le 1er janvier 2023, l’affaire est encore loin d’être réglée du côté de l’UE.
De nombreux pays membres n’ont pas adopté de clause de réparation. En particulier ceux d’Europe centrale, où les constructeurs disposent d’usines de production (République Tchèque, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie), ou ceux où d’autres intérêts industriels avaient encouragé la plus stricte protection des dessins et modèles, comme en Finlande avec Nokia pour les téléphones mobiles. « Une loi européenne qui abrogerait les lois nationales verra peut-être le jour en 2023, car l’évaluation des études d’impact menées par la Commission européenne sur les marchés où la clause de réparation est effective aura lieu en 2022 », précise Hartmut Röhl.
Prudente distribution indépendante
En janvier 2023, pour rappel, la France autorisera la libre concurrence sur le marché des pièces de vitrage – effective de facto depuis longtemps – et permettra la commercialisation des pièces de première monte par les équipementiers qui les produisent. Pour les pièces protégées par les dessins et modèles, celles-ci auront droit à une durée de protection de cinq ans, renouvelable une fois. Pour celles produites en 2023, il faudra donc attendre 2033 pour que la pièce de qualité équivalente puisse être commercialisée. Heureusement, le délai de protection n’est pas rétroactif et les pièces dédiées aux modèles antérieurs à 2023 pourront être concurrencées plus tôt.
« Le point positif de la loi est que la distribution indépendante a mis le pied dans la porte. Mais cette victoire peut nous revenir en bandes car, trois ou quatre ans après l’ouverture à la concurrence, compte tenu du délai dont ils disposent, les constructeurs pourront arguer que cette libéralisation n’a pas eu d’impact sur la baisse des primes d’assurance », avance Vincent Belhandouz, président d’Aniel Marketplace. Un argument sur lequel les assureurs ont pourtant basé leur lobbying anti-monopole en France comme en Europe. « La victoire est belle, mais il reste d’autres batailles à mener, notamment l’accès direct au marché par les équipementiers première monte. Or, certains sont en France et sont puissants, à l’image de Plastic Omnium. Ils devront se rendre compte de la valeur ajoutée qu’ils peuvent générer », déclare Auguste Amieux, directeur général du Développement Carrosserie chez Parts Holding Europe (Autodistribution).
La menace du “brand naming”
L’homme, qui préside aussi aux destinées de Cora Automotive, filiale d’Autodistribution dédiée à la distribution de pièces de carrosserie, met aussi en garde contre « le logotypage des pièces, surtout lorsque le logo du constructeur, sur une calandre par exemple, embarque un radar ou une caméra ». Pour Thomas Caron, responsable France de l’équipementier italien Magneti Marelli, « la loi ne change rien pour le commerce des optiques, en l’état ». Surtout depuis que les constructeurs imposent leur nom et/ou leur logo sur les optiques fabriqués par leurs sous-traitants. Evoquant l’exemple de la Renault Clio IV, Thomas Caron fait remarquer que la marque au losange a d’abord fait produire des optiques sans marquage, puis des optiques marqués Halogen X2 ou Pure Led Vision qu’ils ont tenté de déposer au titre de la propriété intellectuelle, sans succès.
Idem pour le Captur (voir photo ci-dessus), dont les optiques sont disponibles à la rechange indépendante jusqu’à la génération marquée du sigle Renault Led Light Design. « Le nom de Renault apparent empêche un équipementier comme Magneti Marelli de commercialiser le produit sans contrepartie financière, sous forme de royalties. Mais les constructeurs n’ouvrent quasiment jamais la porte à des négociations en ce sens », regrette-t-il. Seul Valeo a pu en obtenir la possibilité, aujourd’hui. « Même si nous le commercialisions sans logo, nos clients n’en voudraient pas car il n’est pas identique, en dépit des fonctions en tout point similaires : cela réduit le potentiel marché d’une pièce, d’une génération de véhicule à l’autre.
Une pluie de royalties
Autre frein à la commercialisation de pièces captives par les équipementiers : l’outillage nécessaire à leur fabrication. « Ce sont bien souvent les constructeurs qui fournissent les moules à l’équipementier et commercialiser sous nos couleurs les pièces que nous fabriquons avec ne peut se faire sans s’acquitter de royalties sur l’usage des moules : ce sont des royalties de "tooling" », explique Thomas Caron. Et si les constructeurs autorisaient leurs sous-traitants équipementiers à vendre les pièces logotées qu’ils fabriquent, ils ne manqueraient pas non plus d’appliquer de fortes royalties sur le lettrage. « Quant à investir dans nos propres moules pour vendre les mêmes optiques sans la marque, cela ne serait pas rentable car, au moment où l’on sera en mesure de les commercialiser, le marché sera déjà attaqué par une offre de copies adaptables bien moins chères », regrette le responsable France de Magneti Marelli.
Heureusement, les pièces de tôlerie ne semblent pas concernées par ces problématiques de "name branding", « hormis sur les hayons où les malles, où le logo du constructeur apparaît en creux », précise Auguste Amieux. Ce qui offrirait davantage de marges de manœuvre aux fabricants de pièces de qualité équivalente comme il en existe en Espagne, en Italie ou à Taïwan. « Des produits certifiés par des organismes indépendants reconnus comme Thatcham au Royaume-Uni, Centro Zaragoza en Espagne ou TÜV-SÜD en Allemagne », rappelle Auguste Amieux. Une offre d’ores et déjà disponible en France pour les marques non couvertes par la protection des dessins et modèles, c’est-à-dire les marques étrangères, qui représentent 40 % du parc français aujourd’hui.
Répondant à l'appel du CDA, Alexis Merkling, sous-directeur assurances de biens et de responsabilité à la Fédération française de l'assurance (FFA), a rappelé les hausses de prix faramineuses que les constructeurs ont appliqué à leurs pièces en cinq ans.