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<strong>Analyse</strong> – Pièces : les distributeurs traditionnels au pied de leurs murs…

Jean-Marc Pierret
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Ils en ont des défis à relever, les distributeurs-stockistes encore souvent figés dans leurs certitudes historiques. Depuis l’après-guerre, ils ont certes su passer bien des haies qu’on disait trop hautes pour eux et pour leurs clients réparateurs ; mais c’était sur fond d’un confortable et lent marché en croissance mécanique. C'est fini: maintenant que tout s’accélère et que les sécurisants domaines réservés se sont effacés, il leur faut se réinventer...
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Les anciens s’en souviennent encore : les distributeurs dits “traditionnels” d’aujourd’hui (les adhérents et filiales des Autodistribution, Groupauto, Partners, Precisium et autres), ont été les “modernes” en leur temps d’émergence. Autodistribution notamment naissait en 1962 au pied de ses puissants aînés issus de la reconstruction post-39/45, boostés par la frénésie des trente glorieuses automobiles mais aveuglés par leurs puissances locales et régionales.
Le choc “Pierre Farsy”
Quand Pierre Farsy inventait Autodistribution, ces barons régionaux sont restés figés dans leurs certitudes. Ils l’ont regardé comme un jeune agité ignorant les fondamentaux. Mais quand le “bricoleur” de Morangis a matérialisé l’empire qui devait emmener tout le marché vers une autre organisation inspirée par la révolution logistique et financière de la grande distribution, il était trop tard pour ceux qui avaient méprisé la mutation en cours.La centrale d’achat avait rendu l’environnement trop concurrentiel ; le groupement avait attrapé les adhérents les plus dynamiques et les plus prompts à se moderniser. Autodistribution avait conquis la plupart des secteurs et rendu toute stratégie de rattrapage vaine car trop tardive, au moins pour ceux qui n’avaient pas pu consolider leur zone, su se regrouper en coopératives ou cloner ce tout premier réseau de grossistes.Cette révolution initiée, ces distributeurs “post-modernes” continuaient de croître et embellir mécaniquement, portés par la dynamique sans grands nuages d’un parc toujours plus vaste, servis par les entrées-atelier toujours exponentielles et préservés de toute bourrasque concurrentielle par l’utile mépris pour les autos trop vieilles qu’affichaient les constructeurs et leurs réseaux.Eh oui : des années 60 jusqu’à la fin du siècle, c’était encore le bon temps. Il y en avait tellement pour tout le monde que tout ce monde vivait grassement de son seul chez soi. Tous faisaient leur superbe rentabilité dès les achats faits. Quant à la demande qui venait toujours plus grosse et quasi-spontanément à eux, elle ne faisait que dorer un peu plus leurs enviables résultats...
L'école de la “Nouvelle distribution”
A l’orée des années 80, il y a bien eu l’arrivée conflictuelle de ce qu’on appelait “la nouvelle distribution”. Mais une fois compris que les centres auto et autres fast fitters ne pouvaient alors boulotter qu’une partie de la prestation facilement rapide en laissant une réparation encore grasse aux “traditionnels” −l'entretien préventif n'est devenu majoritaire qu'au milieu des années 2000−, les esprits se sont calmés et les voisinages, organisés. Les distributeurs sont même devenus les efficaces “dépanneurs” de ces nouveaux venus...Rendons d’ailleurs là un bref hommage à Jean Maurus, l'ex-président de la Feda récemment disparu : en décrétant sa célèbre «Porte ouverte aux consommateurs !» dont il se disait si fier, il convainquait les distributeurs de s’inventer la lucrative vente directe de pièces à leurs comptoirs, au moment même où les linéaires des centres auto et des hypers massifiaient les ventes aux “do-iteurs”…Certes, cette nouvelle distribution amenait avec elle une révolution dont on ne soupçonnait pas encore la portée : les réseaux. Mais là encore, Autodistribution montrait la voie dès 1985 en créant la première enseigne de MRA : AD et les pièces AD Pro qui allaient avec. Il s’agissait bien sûr d’une ébauche de réseau entre copains, aux exigences bien faibles. Mais si brouillon qu’il ait été, ce premier réseau traditionnel ouvrait une route que toute la distribution, bon gré mal gré, cahin-caha, allait suivre jusqu’à en comprendre la profonde nécessité. L’acyclisme de la rechange a longtemps laissé le temps au temps…
Le “coup de pouce” des équipementiers
Parallèlement, ils ont même réussi, ces diables de grossistes, à remporter le challenge des “ruptures technologiques” de l’automobile. Car dès les années 90, portée par le danger qualité des voitures japonaises, la voiture commençait à devenir mondialement ce qu’elle est aujourd’hui : toujours plus complexe, toujours plus fiable, toujours plus durable. Ce danger mortel de l’évolution technologique pouvait et devait même, à en croire les Cassandres qui annonçaient «l’inéluctable mort des MRA», emporter avec eux leurs fournisseurs-grossistes.C’était sans compter les efforts des équipementiers-systémiers. Quand ils se sont vu confier la recherche technologique par des constructeurs en danger (voir «les équipementiers à l’ère du «Motaupoly»), ces sous-traitants se sont vite rendu compte du danger de ne pas partager les fruits de leur anoblissement «R&D» avec le marché indépendant. Rien d’altruiste là-dedans : les équipementiers avaient besoin de préserver la distribution et réparation indépendantes pour leurs belles marges qui compensaient les exigences tarifaires des chaînes constructeurs.
La réactivité technologique
Les indépendants distributeurs, réparateurs et leurs organisations professionnelles ont évidemment su saisir cette corne d’abondance tendue vers eux. Ils ont également su ensemble construire et entretenir un bouclier légal efficace contre les coups de boutoir des constructeurs, en démontrant régulièrement aux législateurs nationaux comme européens qu’il fallait préserver leur survie, gage majeur d’une concurrence utile aux consommateurs.Parallèlement, ils se montraient surtout capables d’absorber et de s’approprier les ruptures technologiques au fur et à mesure que les constructeurs les poussaient sur le marché. L’exemple le plus fameux en la matière restera le common-rail, apparu en 1996. Alors que les vendeurs des concessions expliquaient avec gourmandise que seul un atelier de marque pouvait entretenir un tel bijou que même la NASA leur enviait, les distributeurs et leurs groupements réagissaient dès les années 2000. Aidés par les équipementiers, ils montaient des stocks, des ateliers, des centres de diagnostic et de rénovation tout en formant les réparateurs pour rester brillamment dans la course au Diesel. Le mouvement de rattrapage s’applique à tout : turbos, vannes EGR, calculateurs, capteurs, pièces mécatroniques, motorisations hybrides et autres futures piles à combustibles sont et seront domestiqués de la même façon. La voiture deviendrait nucléaire que les distributeurs se feraient physiciens…
Le retournement historique du marché
Pourquoi une si longue introduction historique ? Elle permet de souligner que nos bons vieux grossistes savent se réinventer et que donc, le pire n’est jamais certain. Mais elle permet aussi de constater que les distributeurs traditionnels arrivent à une nouvelle croisée des chemins bien différente des précédentes. Car toutes ces victoires étaient presque faciles, puisque financées par un marché alors croissant, sécurisé par une évolution de parc qui permettait même de corriger des erreurs de cap à son rythme, sans trop de dégâts.Mais c’est une chose d’avoir su absorber sereinement les chocs évolutionnels quand le marché était globalement porteur. C’en est une autre maintenant qu’il faut progresser sur la voie plus étroite d’une route de montagne en peau de chagrin. Et sur laquelle les distributeurs-stockistes doivent pourtant accélérer, car les défis d’aujourd’hui vont à un rythme et dans des directions qui n’ont plus rien de commun avec le train de sénateur d’hier et d’avant-hier. Toute erreur de cap et toute hésitation deviennent aussi dangereuses que celles d'une F1 s'engouffrant dans le tunnel de Monaco...Tout d’abord et c’est copernicien : la tendance du marché s’est structurellement inversée. La problématique de véhicules toujours plus fiables et plus durables est évidemment douloureuse à la distribution qui, pour la première fois, voit ses potentiels glisser inéluctablement vers un grand entonnoir : 55 millions d’entrées-atelier en 2005, 38 millions au mieux en 2020... Le parc, lui aussi, cesse de croître. La France automobile est presque rassasiée de voitures. Du coup et ça aussi, c'est nouveau, quand les primes à la casse détruisent 2 millions d'autos, la rechange traditionnelle les sent douloureusement partir car rien ne remplace leur besoin en pièces et prestations...Certes, l’évolution technologique évoquée a des vertus qui écrêtent les effets : les pièces et les fonctions, plus chères, ont des valeurs unitaires croissantes qui compensent, au moins en partie, la baisse tendancielle des volumes. Mais tous les distributeurs ont-ils vraiment intégré qu'il faut conquérir de nouveaux marchés et de nouveaux territoires au risque sinon de reculer inexorablement ?
Le réveil lent mais constant des constructeurs
Parallèlement, le marché s’est ouvert à une concurrence nouvelle et plus dure que jamais. C'est la faute, tellement à la mode, de l'Europe : elle a joué un rôle central en instaurant, à partir de 2002 avec le fameux Règlement d’exemption 1400/2002, des règles de concurrence accrue qui ont précipité, en peu d'années, la fin du «Yalta» historique entre ces deux marchés jusqu’alors relativement étanches qu’étaient d’un côté la rechange constructeur et sa sacro-sainte pièce d’origine et de l’autre, la rechange indépendante et ses pièces équipementières revendiquant plus ou moins ouvertement leur lien de parenté industriel avec la pièce d’origine.Pour la première fois, les constructeurs se sont ébroués et réveillés. La distribution traditionnelle doit maintenant se battre contre eux sur plusieurs fronts nouveaux. Celui des pièces multimarque constructeurs : Motrio le défricheur, Motorcraft le ressuscité, Eurorepar et Motaquip les fusionnés, l'Economy Parts de VW, puis maintenant le Classic Line de Fiat/Magneti Marelli… En même temps que les constructeurs faisaient leurs premières gammes de pièces pour les véhicules anciens en devenant de plus en plus virtuoses en la matière, ils déployaient leurs réseaux multimarque, recrutant clients et adhérents dans le vivier des MRA jusqu’alors propriété et clientèle naturelles des distributeurs traditionnels.Certes, les constructeurs n’ont pas encore massivement investi les terres des grossistes. Mais c’est une évidence qu’ils monteront encore et encore en compétences (voir «Le réveil des “multimarque constructeur” a sonné»).  Et il ne faut guère sous-estimer leurs moyens, leur lente mais là encore croissante compréhension des “codes” du marché des indépendants tant relationnels que logistiques, sur lesquels ils buttent de moins en moins…Les distributeurs, parfois si prompts à considérer leurs voisins distributeurs comme leurs seuls concurrents, ont-ils tous compris que ce sont les Aliens-constructeurs qui les menacent vraiment ?
Le si changeant consommateur...
Et voilà aussi que les consommateurs ont changé. Ils viennent déjà de moins en moins dans les ateliers, parce que leurs voitures consomment moins d’entretien-réparation, mais aussi parce qu’ils conduisent moins et mieux. Ils “tirent” donc moins de pièces. Mais là n’est pas le pire : les consommateurs se sont faits internautes en s’entichant d’internet, de ses vitrines virtuelles aux prix inédits. Une part des do-iteurs –et des blackeurs– qui faisaient l’effort de venir aux bons vieux comptoirs chercher la pièce et les conseils du magasinier, s’assoient maintenant paresseusement devant leurs moteurs de recherche pour visiter virtuellement les sites de vente en ligne.Ainsi grignotés (-3% par an environ durant la croissance exponentielle des sites) sur ce marché discrètement lucratif, voilà maintenant les distributeurs en passe d'être rongés par les ventes “BtoB” de pièces à “leurs” réparateurs ! Le site originauto.com vient d’ouvrir la voie (voir «la bombe Originauto.com va exploser !»). Il n’est évidemment pas le seul à flairer la piste…Les distributeurs sont-ils prêts à se dessiner un avenir internet commercial, qui de toute façon s'invente avec ou sans eux ? Se préparent-ils à encaisser l'inéluctable baisse du prix des pièces, qui finira bien par fléchir sous le poids conjugué de la communication internet et de la baisse du pouvoir d'achat ?
Les clients-réparateurs désenchantés
Et voilà leurs clients-réparateurs qui se désenchantent pour avoir à affronter, eux aussi, des temps nouveaux et douloureux pour des raisons en bien des points similaires. Moins d’entrées-atelier bien sûr ; mais aussi la concurrence des auto-entrepreneurs ; mais aussi ces chasseurs de primes qui leur font faire 20 devis avant de demander à venir avec la pièce Oscaro ; mais aussi ces clients qui, tout naturellement, exigent toujours plus de communication, de fidélisation, de compétences, de réactivité. Multi-sollicités qu’ils sont par pléthore d’acteurs après-vente qui craignent des lendemains toujours plus durs, les automobilistes sont éduqués toujours plus exigeants et même rancuniers : c'est tellement facile de se lâcher sur Internet. Et ils nourrissent leurs soupçons au fil des émissions dénonçant les abus réels ou supposés des réparateurs...Dans ce contexte, les réactions de nos lecteurs réparateurs lors de notre article révélant l’émergence de «réparateurs 4532Z» se fournissant directement aux plateformes régionales étaient symptomatiques d’un malaise : plutôt que se montrer solidaires des difficultés des distributeurs, leurs plus proches partenaires, ils en font parfois presque les boucs émissaires de leurs difficultés. D'accord, les enseignes des réseaux issus de la distribution traditionnelle se sont professionnalisées et aident de mieux en mieux les adhérents à s'adapter et capter du business. Mais tous les comptes-clients ne sont pas sous enseigne.Les distributeurs-stockistes ont-il vraiment pris conscience de la crise de vieux couple qui traverse leur relation avec les réparateurs ? Ont-ils compris que le déploiement de leurs réseaux de réparateurs ne peut plus seulement être un artifice de captation de marché mais bel et bien un enjeu d'avenir pour eux comme pour les adhérents de leurs enseignes de réparation ?
Les préoccupantes plateformes
Et voilà maintenant que les plateformes régionales viennent leur manger un peu plus de laine sur le dos. Créées pour compléter les gammes des distributeurs (qui ne peuvent certes pas absorber physiquement toutes les références, mais qui ont aussi parfois imprudemment réduit leurs stocks pour alléger d’autant leurs trésoreries), elles les court-circuitent en alimentant les “réparateurs 4532Z”, une partie des auto-entrepreneurs, les sites grand public comme BtoB de ventes en ligne.Certes, certains distributeurs sont devenus eux-mêmes plateformes. Les groupements en acquièrent quand c'est possible et les mettent au service des adhérents stockistes, ou les organisent en complémentarité de marché comme cela semble être le cas d'ACR/Autodistribution.Mais les bien peu profitables plateformes ne se pressentent-elles pas les possibles distributeurs-stockistes de demain, comme l'Autodistribution de Farsy supplantait les baronnies des années 60, trop certaines de leur puissance ?
La puissante loi de la Finance
Et voilà maintenant que la financiarisation du monde vient aussi bousculer leurs habitudes et accélérer les changements. Leurs interlocuteurs équipementiers ont été les premiers contaminés : jusqu’à la fin des années 90, les distributeurs et leurs fournisseurs parlaient métier entre gens du sérail. On discute maintenant marges et rentabilité sur des bases qui insultent parfois la logique industrielle et commerciale d’antan.La finance est aussi venue directement se mêler de leur logique familiale d’entreprises : les Strafor/Facom, puis Investcorp, puis Towerbrook chez Autodistribution, Pechel Industries pour Precisium, Weinberg puis Blackstone pour Groupauto, ont débarqué dans l’univers de la pièce.Ces fonds d’investissement sont un carburant essentiel aux changements qu'imposent tous les paramètres évoqués ci-dessus. Mais ces investisseurs accélèrent le temps et modifient drastiquement l’éco-système de la rechange, au risque parfois de centrifuger des distributeurs, et pas nécessairement les plus petits, comme le départ d'IDLP de Precisium vient de l'illustrer sans nuance. Les grands financiers aident certes au développement ; mais ils édictent des méthodes, des règles et des cadences sans commune mesure avec celles du passé. Les puissants appétits de nouveaux acteurs-prédateurs comme LKQ ne vont rien modifier en la matière...La financiarisation croissante de la distribution automobile ne risque-t-elle pas de faciliter la réémergence d'un troisième groupement alimenté des déçus qu'elle génère au risque d'affaiblir, voire d'atomiser la profession au pire moment ?
Le bon sens terrien
On le voit, les distributeurs sont au pied de bien des murs qui exigent autant d'efforts pour les franchir : internet, univers connecté, consommateurs, réglementations, financiarisation, mondialisation, concurrence logistique multi-canal… Habitués qu’ils sont encore à régner à vue sur leur seul territoire, les distributeurs vont devoir s’habituer à regarder au-delà de leurs remparts territoriaux pour domestiquer des règles qui les percutent parfois, étrangères qu'elles sont de plus en plus souvent à leur culture historique faite d'immuables certitudes.Mais s’ils sont contraints à de vigilantes remises en question par un marché devenu plus corrosif que jamais, ils demeurent aussi de solides terriens à juste titre convaincus de leur légitimité, ou au moins de celle de leur métier. Et dans ce monde plus complexe et virtualisé que jamais, confisqués en bien des points par ces mutants égocentrés produits à la chaîne par les écoles de Commerce, leur bon sens devrait aussi leur permettre de garder ce sacré coup d’avance qui les a toujours fait survivre et prospérer depuis l’après-guerre. En vacillant parfois, certes ; mais sans jamais tomber…
Jean-Marc Pierret
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