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Indépendance de l’expert et poids des assureurs au menu des Carrossiers du CNPA

Romain Thirion
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A l’occasion du Salon des Professionnels de la Carrosserie organisé par le CNPA à Bordeaux les 29 et 30 octobre, le Métier Carrossier de l’organisation professionnel a tenu une conférence pour faire le point sur ses actions et cibler en particulier deux thématiques : le poids toujours plus important des assureurs et le libre choix de l’expert...

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Dans un événement qui se présentait comme le Salon des Professionnels de la Carrosserie organisé par le CNPA, il paraissait difficile d’échapper à l’éternelle problématique du poids des sociétés et mutuelles d’assurance sur le marché de la réparation-collision et à celle de l’indépendance de l’expert en automobile.

Francis Bartholomé bientôt reçu par le patron d’AXA ?

« Les donneurs d’ordres sont puissants dans notre secteur, a d’ailleurs rappelé Francis Bartholomé, président national du CNPA, en ouverture de la conférence “Parlons métier” qui s’est tenue le 29 octobre dernier au Hangar 14, à Bordeaux, où se tenait le salon. Je l’ai encore rappelé récemment à Mme. Agnès Pannier-Runacher, Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Economie et des Finances, en lui soulignant que le vrai problème des carrossiers, c’est la façon dont les donneurs d’ordres s’immiscent dans leur activité. »

Le dirigeant de l’organisation professionnelle, attaché à ce que, conformément à la loi “Hamon” sur la consommation, les réparateurs puissent appliquer leurs tarifs publics, a d’ailleurs précisé qu’il aurait « bientôt l’occasion de rencontrer le grand patron d’AXA en décembre prochain afin d’évoquer le sujet, une grande première pour le CNPA », s’est-il félicité. « Car il faut le rappeler : ce sont les professionnels de l’automobile qui leur fournissent leurs précieuses données sur les véhicules car ce sont eux qui sont en contact direct avec ceux-ci, a-t-il ajouté. Cela suffit de leur concéder des remises toujours plus importantes pour leur permettre de proposer des mois de cotisation gratuits à leurs clients ! »

Les donneurs d’ordres : puissance considérable sur le marché

Car c’est un marché plutôt à l’avantage des donneurs d’ordres assurantiels que celui de la réparation-collision, eux qui sont particulièrement concentrés entre grands groupes face à l’extrême atomisation des carrossiers indépendants qui, sur quelque 33 716 réparateurs, tous types d’activité confondues, sont au nombre de 3 268, avec ou sans panneau, selon des chiffres Sales Factory de mars 2019. En y ajoutant les établissements qui n’en font pas leur activité principale, ce sont plus de 12 000 points de carrosserie qui parsèment la France, au total. Or, les réparateurs sont soumis à des charges croissantes, entre intrants toujours plus nombreux et charges réglementaires diverses.

A contrario, la concentration des acteurs de l’assurance leur permet d’optimiser leur budget publicitaire, marketing ainsi que la gestion globale des sinistres. Et ce, alors que la prime d’assurance moyenne augmente et que la part des recettes de cotisations dommages aux biens automobiles croît : 39,10% en 2018, soit 2,9% de plus par rapport à 2017, signe que les assureurs sont encore loin de perdre de l’argent dans le domaine, s’appuyant en outre sur un grand nombre d’experts en automobile auxquels ils sont liés par convention commerciale, leur permettant ainsi de veiller à la bonne tenue du fameux “coût moyen sinistre”.

Eviter l’instrumentalisation du “rôle économique” de l’expert

Et avec une sinistralité VP et VUL en baisse, les projections de 2016 à 2025 prédisant un recul, en volume, de 15,9% du marché de la carrosserie (-10,8% en valeur) et une baisse de 6% de celui du bris de glace, quand bien même ce dernier devrait croître de 25,9% en valeur, selon le cabinet TCG Conseil, les réparateurs pourraient avoir encore plus de mal à tirer leur épingle du jeu. D’où la nécessité pour l’ensemble des professionnels de la réparation-collision de limiter l’instrumentalisation du “rôle économique” de l’expert par les compagnies et mutuelles d’assurance. Et d’empêcher les experts “agréés” par les donneurs d’ordres d’instrumentaliser l’arrêt de la Cour de cassation du 2 février 2017 pour imposer aux réparateurs des tarifs horaires plus bas que ceux qu’ils affichent en temps normal.

Pour mémoire, cet arrêt jugeait qu’un expert pouvait comparer les tarifs publics des réparateurs voisins entre eux pour énoncer sa propre estimation. Or, selon les responsables du Métier Carrossier du CNPA, « il s’agit d’un arrêt d’espèce et non de principe, ce qui contraint l’expert invoquant cet arrêt de reproduire exactement la même situation de comparaison » qui a donné naissance à cet arrêt, à savoir :

  • S’en tenir au prix publics affichés par le réparateur, et non remisés
  • Comparer ceux d’une soixantaine d’entreprises
  • Effectuer ses comparaisons entre professionnels d’une même activité
  • Se limiter à « se prononcer sur les tarifs » et donc à une position de « co-diseur sur les prix », et non à prononcer les tarifs tel un « faiseur de prix »
Un arrêt de Cour de cassation mal né
Y. Levaillant, président du Métier Carrossier au CNPA. Y. Levaillant, président du Métier Carrossier au CNPA.

Le CNPA rappelle toutefois que le “rôle économique” de l’expert tel que le délimiterait l’arrêt de la Cour de cassation n’est, en réalité, pas délimité du tout… Pourquoi ? Parce que les tarifs horaires seuls ne peuvent servir de référentiel de comparaison, le niveau d’équipement, de sécurité et de qualification du personnel du garage étant essentiel, qu’aucun socle technique ni référentiel objectif n’est établi et que le taux horaire ne suffit pas à évaluer le coût d’une réparation. En outre, la zone de “voisinage” permettant de comparer les réparateurs ne répond, elle non plus, à aucun socle objectif.

Les chiffrages pilotés par les donneurs d’ordres ne sont pas davantage objectifs, quant aux comparaisons entre professionnels, elles ne sont pas prévues par la réglementation de l’expertise automobile, ajoute le CNPA. « Enfin, le principe d’une moyenne est de pouvoir être au-dessus, estime Yves Levaillant, président du Métier Carrossier au CNPA. Or, l’arrêt ne l’a pas prévu et entérine qu’il faut être conforme à une moyenne, ce qui n’est rien d’autre qu’un alignement des prix constitutif d’une entente ! Ou alors qu’il faut être en-dessous, ce qui, dans un cas comme dans l’autre, relève d’une administration des prix sur le moins-disant. »

Dans l’expectative du futur décret “expertise”

Seule organisation professionnelle de réparateurs sollicitée par le Ministère de l’Intérieur dans le cadre de discussions préparatoire à un décret “expertise” à paraître, suite aux nombreuses affaires d’épaves roulantes revendues sur le marché de l’occasion, le CNPA affirme avoir pu obtenir l’annulation de recommandations de l’Inspection générale de l’administration (IGA) portant obligation pour les automobilistes de recourir à un expert au-delà d’un certain montant estimatif de réparations, même lorsque les réparations en question n’engagent en rien la sécurité.

Toutefois, le décret en question satisferait déjà l’organisation professionnelle sur plusieurs points. D’abord dans le domaine du contrôle de l’activité des experts, qu’il s’agisse du plafonnement du nombre de procédures Véhicule endommagé (VE) ou Véhicule économiquement irréparable (VEI) engagées par chacun d’entre eux et qui, en cas de dépassement, pourra générer une inspection, et un contrôle du casier judiciaire de l’expert en attendant la mise en place d’un dispositif de signalement de toute condamnation pénale. Enfin, l’intégration de certaines clauses du Code de déontologie des experts, instauré par la CFEA, vers le futur décret, afin de rendre celles-ci plus coercitives.

Vers une procédure VE réinventée et appelée VRC

Au cours de la conférence, le CNPA a rappelé sa participation au sein du Comité de suivi VE, qui préside à la transformation des procédures VE et VEI en une seule procédure appelée Véhicule à réparations contrôlées (VRC). L’organisation professionnelle a d’ailleurs fait savoir aux parties prenantes qu’elle soutenait la prise en compte d’une évolution des déficiences permettant d’établir qu’un véhicule accidenté ne peut circuler dans les conditions normales de sécurité, qu’il s’agisse d’évolutions technologiques –telles que les ADAS ou les moteurs électriques– ou réglementaires, sur la base de la grille d’analyse du contrôle technique entrée en vigueur en mai 2018. De plus, le CNPA a rappelé son soutien à une formalisation de la responsabilité des experts et des limites de celles des réparateurs dans le cadre des futures procédures VRC.

Enfin, le syndicat a réitéré son souhait de voir les forces de police récupérer la capacité de retirer à un véhicule son certificat de circulation dans le cadre de cette procédure VRC, conformément à l’article R327-2. I du Code de la route. Et dans le même esprit de distinguo entre les pures procédures de sécurité routière, comme la procédure VE, et celles liées à la seule réparabilité économique –la procédure VEI– le CNPA a alerté les pouvoirs publics quant à la confusion alimentée volontairement par les donneurs d’ordres, en leur transmettant début 2019 un courrier d’assureurs adressé aux experts “agréés” par leurs soins et demandant à ces derniers de réduire le périmètre des contrôles de fin de procédure permettant la remise en circulation des véhicules concernés.

Le libre choix de l’expert comme priorité

Afin de couper le lien que les assureurs ont tâché de tisser avec “leurs” réseaux d’experts “agréés” au fil des années, le CNPA fait partie des plus ardents défenseurs d’un texte de loi obligeant les assureurs à rappeler à l’automobiliste son plein droit de recourir à l’expert de son choix en cas de sinistre, à l’image de ce qui se fait depuis 2014 pour le libre choix du réparateur. Dans ce cadre, le CNPA soutient l’interdiction de primo-mandat de l’expert par l’assureur à la place du client. Et l’organisation professionnelle de souligner les nombreux avantages qui naîtraient d’un tel texte de loi.

Des avantages pour l’usager, d’abord, qui serait davantage assuré d’une réparation de qualité, car née de moins de tension entre expert et réparateur, et plus sûre, car plus conforme aux seules et uniques exigences de sécurité routière. Des avantages pour le réparateur, bien sûr, qui serait moins tenu à une obligation de résultat étranglée par les arbitrages économiques pro-assureurs des experts “agréés” et qui pourrait redresser sa rentabilité par une meilleure prise en considération de ses taux de main d’œuvre et des temps de réparation.

Des outils de médiation réparateur/expert

Enfin, une telle loi comporterait des avantages pour l’expert lui-même qui, de par la fin de sa subordination aux exigences économiques assurantielles, pourrait voir son métier pérennisé, lui qui est actuellement mis à mal par l’expertise à distance (EAD) et le chiffrage automatisé, et valorisé, de par le volume de missions diverses généré et par la reconnaissance de ses tarifs publics, non plus rognés par les donneurs d’ordres. Une première tentative de soumettre la proposition au travers d’un amendement idoine a d’ailleurs été faite au gouvernement dans le cadre de la Loi d’orientation des mobilités (LOM) et porté par plusieurs députés et sénateurs, mais la Ministre des Transports elle-même, Elisabeth Borne, y aurait fait barrage…

En attendant, le CNPA a renforcé ses outils de dialogue et de médiation avec les experts à destination des réparateurs. Et dans ce même esprit de résistance et de défense des intérêts des carrossiers qu’il représente, le CNPA a tenu à rappeler l’importance de facturer tout frais annexe engagé par le réparateur, avec des facturations séparées, présentées comme la méthode la plus transparente pour l’administration fiscale et la plus sûre pour les entreprises de réparation. L’organisation professionnelle souhaite obtenir des pouvoirs publics l’opportunité de facturer à l’assureur tous les services annexes réclamés par celui-ci, a minima au coût réel de production et hors facture collision.

Des experts en chair et en os bien présents
K. Megrous, président du SEAI. K. Megrous, président du SEAI.

Pour évoquer de tels sujets, le Métier Carrossier du CNPA a tenu à ce que des experts attachés également à l’indépendance de leur profession vis-à-vis des donneurs d’ordres et fidèles aux objectifs de préservation de la sécurité routière soient présents. Ainsi, Karim Megrous, président du Syndicat des experts en automobile indépendants (SEAI), est venu exprimer sa vision de la notion d’indépendance et rappeler en quoi la procédure de recours direct pouvait venir appuyer le bien-fondé du libre choix de l’expert.

Soulignant son passé d’expert dans un cabinet “agréé” par les assureurs, époque où il était littéralement contraint de courir d’une mission à l’autre pour chiffrer à tour de bras avec l’unique objectif de préserver le “coût moyen sinistre”, le dirigeant syndical a ensuite insisté sur la grande différence qui existe avec son activité d’expert libre de tout “agrément”, lui permettant de remettre au premier rang de ses priorités l’exigence de sécurité routière. Et de souligner que, pour que le SEAI existe, il a fallu d’abord s’appuyer sur le recours direct et l’article L124-3 du Code des assurances, permettant effectivement à tout assuré victime de choisir librement son expert et de réclamer à l’assureur du responsable de son sinistre la pleine indemnisation de son préjudice sans mobiliser son propre assureur.

Le libre choix de l’expert favorisé par le recours direct

« Le libre choix de l’expert en découle, insiste Karim Megrous. Trop souvent, l’assureur essaie de se faire passer pour l’assuré à la place de l’assuré, or il n’a pas plus de droit que lui : ce n’est qu’un intervenant dans la chaîne de réparation du véhicule et l’assureur ne peut imposer à quiconque un type de pièces, de fournisseur, de produit, etc. » Et ce, alors que son rôle premier est avant tout d’indemniser.

« Sur la notion de libre choix, l’expert est en retard sur les professions d’avocat ou de réparateur, et cela me chagrine presque de constater que c’est le CNPA, organisation professionnelle de réparateurs, qui défende ce droit à la place des syndicats d’experts représentatifs eux-mêmes, déplore Karim Megrous. Les experts ont actuellement prisonniers d’un business model qui les étouffe. Or, l’expert indépendant a vocation à se développer car il est dans l’intérêt de tout le monde. »

Optimiser l’expertise contradictoire

Au rang des experts de profession, Karim Megrous n’était pas seul présent sur ce Salon des professionnels de la carrosserie : Jean-Pierre Chevrot, ex-conciliateur national de BCA Expertise, agréé VE, formateur à l’INSERR et ancien réparateur lui-même, était au rendez-vous. Et celui-ci a dévoilé aux professionnels présents les astuces pour « être mieux armé dans la tenue des expertises contradictoires, afin que chaque réparateur puisse défendre l’opportunité de recevoir le bénéfice de son travail », ledit bénéfice étant souvent rogné par les arbitrages économiques dictés par l’assureur à l’expert “agréé”.

Entre maîtrise des fondamentaux juridiques et techniques pour répondre aux obligations réglementaires qui lui incombent, anticipation des divergences techniques avec l’expert, veille au respect de la productivité du poste carrosserie/peinture et appui sur des éléments factuels de décision, entre autres, Jean-Pierre Chevrot a montré comment les réparateurs pouvaient améliorer sensiblement leur position face aux experts mandatés par les assureurs. Le tout sur un marché de la réparation-collision de plus en plus restreint et concurrencé et où le donneur d’ordre, via son expert, recherche le gain sur le moindre poste de facturation.

J-P. Chevrot a rappelé les déficiences occasionnant automatiquement l'ouverture d'une procédure VE. J-P. Chevrot a rappelé les déficiences occasionnant automatiquement l'ouverture d'une procédure VE.
Romain Thirion
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