Rétrofit : filière en travaux
Officiellement adoubé en 2020 et volonté affirmée du gouvernement d’y investir fin 2022, le « chantier » rétrofit avance vite… mais pas assez au regard des politiques qui ont besoin d’une alternative économique et écologique face à l’impératif de décarbonation du parc. Mais reste des freins à lever… et à trouver un modèle économique.
En avril 2020 sortait un arrêté libérateur donnant les clés pour la transformation des véhicules thermiques âgés de plus de cinq ans en version électrique suivie d’une prime à la conversion. Une reconnaissance officielle nécessaire au rétrofitage électrique pour faire sortir la spécialité naissante de la case bricolage et lui permettre de s’estampiller de l’étiquette de process semi-industriel. « Des signaux forts montrent que les pouvoirs publics soutiennent le rétrofit. Il n’aura fallu qu’un an pour obtenir un cadre juridique. Mais aujourd’hui, les pouvoirs publics ont besoin d’accélérer les process. Trois ans après, à peine six modèles sont homologués. Et ce, alors même que l’on attend entre 3 et 5 millions de véhicules déjà convertis à l’horizon 2035 », a expliqué, à l'occasion d'un webinaire du MAP (filiale de l'ANEA), Aymeric Libeau, président de Transition One. On estime que les véhicules rétrofités représenteront 3 % du parc en 2026, et entre 5 et 10 % d’ici quinze ans.
Parce qu’il y a urgence face au risque de contestation des Français avec la montée en puissance des ZFE-m qui devraient condamner 74 % du parc roulant, les pouvoirs publics s’impatientent. « La réglementation pour laquelle nous nous sommes tous battus porte ses fruits. Elle nous permet aujourd’hui d’entrer dans le vif du sujet », a assuré Damien Pichereau, chargé de communication chez REV Mobilities, lors du même webinaire. Tout semble donc porter cette nouvelle filière en construction.
Les acteurs avancent
Aujourd’hui, une dizaine d’acteurs ont investi cette niche. D’autres devraient intégrer leur rang. Bonne émulation ou risque de voir ce marché nécessitant de gros investissements se morceler jusqu’à ne pas trouver de modèle économique suffisamment viable pour perdurer ?
En attendant, les « pionniers » poursuivent leur course aux homologations, « clé d’entrée » fournie par l’UTAC et point de passage obligé vers l’industrialisation. REV Mobilities annonce qu’il aura obtenu dès la fin du premier trimestre des homologations R100-2 sur les batteries, permettant de faire du volume et à l’horizon de la fin de l’année le sésame pour cinq véhicules dont un « historique ». « Plusieurs centaines de véhicules vont entrer en production car il y a une énorme demande. » Et un catalogue des offres devrait bientôt sortir avec dans le viseur l’homologation de cinquante véhicules.
De son côté la start-up grenobloise Tolv (ex-Phoenix Mobility) a joué la niche de la niche : le rétrofitage des utilitaires. Bonne pioche, car outre avoir obtenu l’homologation du 1er VUL Renault Trafic, l’approche à attirer l’attention des constructeurs et notamment de Renault avec qui va être développée une usine pilote d’ici la fin d’année, d'où sortiront d’ici la fin de l’année les premiers véhicules en série. Le constructeur l’accompagnera également pour la constitution de son réseau d’installateurs. Reste que la start-up grenobloise annonce une petite dizaine d’unités produites sur 2023 pour une montée en puissance sur 2024 vers une centaine de véhicules rétrofités qui sortiront des usines Renault de Flin. Objectif : livrer 1000 Master entre 2025 et 2050. « Ce partenariat avec Renault n’est pas financier. » Tolv fait donc appel à des investisseurs privés. Après avoir levé 2 M€ en 2021, la start-up grenobloise entame un nouveau processus de levée de fonds. Outre les 6 M€ qui seront levés auprès d’investisseurs et de banques, elle souhaite lever 1,5 M€ supplémentaires auprès du grand public.
Industrialisation vitale
« Pour passer à l’industrialisation, nous avions besoin d’un acteur déjà industriel », assure Wadie Maaninou, CEO de Tolv. Car c’est effectivement l’étape indispensable pour dynamiser le marché avec des volumes qui permettront de baisser le coût du kit. Car aujourd’hui, selon l’Ademe, un kit de rétrofit électrique est facturé entre 16 000 à 21 000 € pour un VP et peut monter jusqu’à 225 000 € pour un bus, soit la moitié du prix modèle électrique neuf ! Autant dire qu’à ce tarif, les candidats au rétrofitage de leur(s) véhicule(s) ne vont pas se bousculer. Alors pour faire monter les volumes, les pouvoirs publics ont décidé de donner un coup de pouce à la transformation du secteur avec une enveloppe de 20 M€ fléchée vers les opérateurs. Une approche impérativement industrielle qui sera cependant « une activité et un service de proximité », rappel Aymeric Libeau. Ne serait-ce qu’avec les nécessaires réseaux d’installateurs qui devront mailler le territoire.
D’où le récent rapprochement de l’association AiRe, rassemblant tous les acteurs du rétrofit, et Mobilians, qui devient ainsi la vingtième branche de l’organisation patronale. « Cela permet d’avoir une passerelle vers les acteurs aval de la filière et de nous offrir une présence complète sur le territoire. Mobilians est aussi une force de frappe appréciable pour faire passer des messages auprès des pouvoirs publics », explique le coprésident de la branche Rétrofit de Mobilians.
Autre intérêt de cette alliance : permettre de structurer la formation des installateurs mais également des ateliers qui assumeront la maintenance et l’après-vente des véhicules kités. Encore un chantier à accélérer. Car si aujourd’hui les opérateurs annoncent avoir de nombreux ateliers candidats dans le viseur, il reste encore à les mettre en lumière. À ce jour, seule l’enseigne de centres autos Autobacs a communiqué sur son activité naissante de rétrofit, en partenariat avec REV Mobilities.
Reste des freins et questions à lever
• En premier lieu, la montée en puissance du parc rétrofité passe par un impératif : « Simplifier le processus d’homologation qui concerne aujourd’hui non seulement un modèle de véhicule mais aussi toutes ses versions, ce qui alourdit les démarches », réclame Damien Pichereau (REV Mobilities). Et cela pourrait permettre de réduire son coût, qui approche les 100 000 € par homologation.
• Quelle indemnisation les assureurs appliqueront-ils sur une voiture ancienne qui coûte quatre fois moins cher que le prix du kit ? « Faudra-t-il une assurance spécifique du kit, qui peut coûter jusqu’à 20 000 euros ? », s’interroge encore Damien Pichereau.
• Le financement du kit, déjà mis en place par REV Mobilities, pose également question en cas de défaut de paiement de son utilisateur : faudra-t-il saisir le kit seul où l’ensemble du véhicule ?
Autant de questions ouvertes qui se poseront lorsque le parc rétrofité pendra de l’ampleur.
La prochaine étape sera européenne
Et là aussi les acteurs comptent s’appuyer sur Mobilians pour que l’atout du "Made in France" – « avec une approche de série et non individuelle comme chez nos voisins européens » – soit reconnu par Bruxelles et pourquoi pas devienne la norme au niveau des institutions. « Il est nécessaire d’avoir une harmonisation au niveau européen… et qu’elle se base sur les pratiques les plus sécuritaires. Nous y travaillons », assure Aymeric Libeau.
2023 est donc une année charnière pour la filière, qui a encore beaucoup de chantiers à finaliser…
L’Ademe adhère
Dans une étude publiée en 2021, l’Ademe a prouvé que la conversion d’un véhicule thermique vers l’électrique était même plus vertueuse en terme de coûts environnementaux que l’achat d’un véhicule électrique neuf. Un véhicule de plus de dix ans rétrofité permet de réduire de 66 % les émissions de GES par rapport à un diesel et même de 47 % par rapport à l’achat d’un VE neuf conservé dix ans. Ces gains « descendent » à 61 % en VUL (56 % vs achat d’un VE conservé dix ans), mais grimpent à 87 % pour un PL (37 % vs achat d’un VE).
Si l’Ademe admet que le rétrofit de VP – la version française est née sur ce segment – a l'avantage de bénéficier d’un parc conséquent associé à un profil d’usage porteur, elle soulève cependant deux objections : en premier lieu un TCO de 0,21 €/km par VP rétrofité, mieux que pour un VE (0,24 €/km) mais toujours, et de loin, moins bien que la version diesel à 0,12 €/km. Autre limite soulevée : le temps d’amortissement des investissements des opérateurs, l’Ademe considérant que le rétrofit est une solution éphémère qui perdra de son élan avec la fin thermique de 2035, et qui ne sera pas efficace au-delà de 2040.
C’est donc plus vers les PL, et surtout le transport en commun, que l’Ademe parie pour donner tout son sens au rétrofit. Les atouts mis en avant : des véhicules à forte valeur résiduelle, qui roulent beaucoup avec une possibilité de massifier l’opération de rétrofit. Cerise sur le gâteau : l’étude fait ressortir que le TCO d’un bus rétrofité est proche du diesel (0,84 €/km), contre 1,39 €/km pour un VE.
Outre le rétrofit vers l’électrique, l’Ademe se penche sur celui au gaz et hyrdogène qui arrivera en fin d’année. À suivre.