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[Atlas] Etats-Unis : Ce qui ne tue pas rend plus fort
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Rebondissant et surprenant, le marché de l’automobile aux États-Unis a plié quelques semaines, conjoncture oblige, mais n’a pas rompu !
Coup d’œil sur les immatriculations tout d’abord : le marché a vu ses ventes chuter de 50 % au plus fort de la première vague, entre mars et mai, puis étonnamment repartir fortement pour atteindre son pic en septembre : 15 millions d’immatriculations sont ainsi enregistrées en 2020, soit - 15 % par rapport aux 17 millions de ventes de 2019. Un moindre mal dans le marasme pandémique actuel. Vient ensuite la réparation : l’Automotive Aftermarket Suppliers Association (AASA) projetait une baisse des entrées atelier de 8 à 9 %. Finalement, ce sera - 5 %. Et l’Auto Care Association vise déjà une croissance de 11 % en 2021. 72 % des fabricants de pièces ont déclaré des ventes identiques ou supérieures à 2019 ! La loi du plus fort passe par la fermeture d’ateliers indépendants, certes, mais déjà affaiblis hors crise sanitaire. « Une tendance que nous observons déjà sur la décennie. L’IAM n’est pas résistante, mais résiliente. Le marché dit « secondaire » est en consolidation perpétuelle, nettement plus que l’Europe, l’Asie ou l’Amérique Latine », souligne ainsi le cabinet d’études GiPA US.
Mouvements de concentration limités
Les distributeurs ont un peu freiné le mouvement de concentration sur le territoire et d’autres en dehors de GPC et LKQ auraient des vues longue portée vers cette bonne Vieille Europe ! Vraiment ? Aucune confirmation directe pourtant ne vient étayer ces propos. « Mais c’est très probable ! AutoZone, avec ses 100 000 employés (10,35 Md€, + 6,5 % malgré la crise, 80 % en BtoC), s’est concentré sur l’expansion en Amérique Latine (Mexique et Brésil) tandis qu’O’Reilly Automotive est toujours axé sur le marché américain (5 600 magasins, 9,3 Md€, 82 500 employés). Mais ces deux mastodontes sont en forte croissance et en dehors de toute pression pour se projeter en Europe ! Contrairement à NAPA dont la croissance domestique stagnait depuis des années. « Le Vieux Continent était le seul moyen d’afficher de nouveau de la croissance. » Reste à voir si les opportunités restantes peuvent intéresser ces deux distributeurs. Y’en-a-t-il ?
La Vieille Europe, valeur refuge
Le marché européen reste fragmenté avec des acteurs de taille réduite – comparé aux américains – et accessible financièrement. « Et l’échelle mondiale permet de resserrer les négociations avec les fournisseurs et donc de réduire les coûts d’approvisionnement. La croissance peut être plus faible en Europe, mais ce sont des marchés stables, avec un retour sur investissement stable. Ce qui rend d’ailleurs la région Europe beaucoup plus attrayante que les marchés émergents ! » « Une chose est sûre : d’ici 2025, l’écosystème sera plus dynamique que jamais ! Et les petits concurrents – fournisseurs et distributeurs – ressentiront de plus en plus la pression. Ce sera la survie du plus fort. »
Muriel Blancheton
« Avec le thermique, les ateliers ont encore de belles années devant eux »
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Décryptage du marché américain par Alexander Gruzdev, fondateur du cabinet Gruzdev Analyse, basé dans le comté de Los Angeles, Californie.
Quelles traces le virus laisse sur les ventes VN pour 2020 ?
Alexander Gruzdev : Le pays de l’Oncle Sam s’est retrouvé au niveau de la Grande Dépression des années 1930 sur la période de mars à avril : taux de chômage record, des millions de demandes d’allocations… Les ventes VN ont chuté de 50 % pour repartir doucement mais sûrement, avec des concessionnaires qui ont peu, voire pas fermé. Les pros tablaient sur un marché 2020 à 17 millions d’immatriculations. Au final, elles cumulent à 15 millions d’unités, soit une baisse de 15 %. Reste à voir comment l’évolution culturelle de l’Américain, très axé sur son besoin de consommation et de mobilité, va modifier les comportements d’achat, ou pas !
Comment décrire la distribution de pièces de rechange en mode US ?
A.G : Elle est âgée ! La distribution américaine a plus de cent ans ! Une histoire faite avec des pros de ce business, et bien souvent des parcours familiaux, avec des entreprises pilotées actuellement par la troisième génération. Ce qui a ses avantages et ses inconvénients ! Ce sont des afficionados qui connaissent leur métier sur le bout des doigts car ils ont grandi avec la pièce de rechange. Mais certains ont une position arc-boutée en mode « nous avons toujours travaillé ainsi, donc pourquoi changer ? » Le risque est grand qu’un nouvel acteur débarque sur leur territoire avec une idée nouvelle, en particulier sur le digital, et emporte leur marché. Mais c’est le lot de tous… Les réseaux poursuivent leur croissance, mais comme les ateliers indépendants et les ventes en ligne. Le do-it a toujours eu la part belle.
Les gros distributeurs comme O’Reilly ou AutoZone regardent-ils l’Europe comme la Conquête de l’Est ?
A.G : Pour le moment, ce serait plutôt, « À l’Est, rien de nouveau ». Le marché européen et l’ensemble de ses acteurs ne sont pas dans la meilleure situation en ce moment pour se vendre (pandémie). Débarquer sur un marché en déclin n’est pas forcément la meilleure stratégie, même lorsque les prix sont en baisse. Mais comme toujours, rien n’est impossible. Ces contrats de fusion et d’acquisition sont noués pour accroître la puissance des groupes et augmentent leur volume de vente. À voir.
La révolution électrique va-t-elle sonner bientôt le glas de la voiture thermique ?
A.G : Il n’y aura pas de révolution culturelle sur ce terrain, mais des évolutions. Le marché est trop vaste, avec une inertie naturelle. Il ne faut pas s’attendre à une domination des ventes de véhicules électriques, même en prenant en compte toutes les stimulations financières pour inciter un foyer américain à passer sur ce type de motorisation. D’ailleurs, la fourchette haute de ces programmes d’incitation estime que sur dix ans, le transfert ne cumulera « que » 40 millions de véhicules électriques, soit 15 % du parc. Les ateliers ont encore de belles années de réparation du parc thermique devant eux.
M.B.
Changement de braquet pour les traditionnels
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Nombreux sont les défis qui attendent les pros de l’auto d’ici cinq ans. La digitalisation est en tête de pont, avec un taux de pénétration déjà très fort sur la vente en ligne en BtoC. En BtoB, les commandes digitalisées sont légion. Il n’y a aucun débat culturel. Sauf que les distributeurs américains font face à un autre concurrent domestique qui a sauté de plain-pied dans leur écosystème : Amazon entend bien renforcer sa présence en B2B. « Une vraie menace. En fait, il ne serait même pas surprenant de voir cet autre mastodonte, mais digitalisé cette fois, acheter un distributeur traditionnel, à condition d’être de taille assez conséquente », lâche un observateur natif. Mais il n’est pas question pour les grossistes de céder un pouce de terrain. D’autant qu’ils gardent plusieurs avantages que n’a toujours pas Amazon : la disponibilité immédiate et le service autour.
- Multiplication des services proposés
Pour le contrer, AutoZone et O’Reilly se sont déjà dotés de plateformes en ligne hyper-performantes et du service en Click&Collect. Leurs équipes sont ultra-formées pour répondre à toute question technique, ce que ne peut pas faire le pure-player. AutoZone étend même son territoire au « do it for me » ! Un changement de braquet notable vers les pros (seulement 20 % de son CA), lui permettant de jouer sur l’accès immédiat à ses stocks via des « hubs » disséminés stratégiquement sur le territoire. Objectif avoué : assurer sa croissance sur les dix prochaines années, en jouant sur la complexité des véhicules, avec des pièces plus chères donc margeuses, ce qui sous-entend d’ailleurs un « do it yourself » en perdition. Sur un parc vieillissant de presque 12 ans et comptant 280 millions de véhicules, le do-it a encore de beaux jours à vivre. Mais les traditionnels n’attendent pas la fin pour se réveiller. Il n’y a pas de mystère : pour survivre, il faut s’adapter… et vite !
M. B.
Des marques privées très publiques
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Il semble que le marché américain soit un paradis pour les marques propres qui détiennent jusqu’à 50 % de parts de marché. NAPA en a fait son cœur de business. Selon GiPA US, ces marques « maison » ont connu une croissance plus rapide que les marques nationales au cours des dix dernières années. Pourquoi ? Une meilleure image sur leur qualité – donc mieux acceptée auprès du consommateur – et des parts de marché plus élevées à mesure de leur déploiement sur tous les segments de produits comme les filtres, balais d'essuie-glace, freins, huile et produits chimiques. « Les marques nationales devront de plus en plus se concentrer sur un meilleur positionnement prix et marketing direct pour améliorer, voire défendre leur part du gâteau. » Reste quelques irréductibles qui n’ont pas cédé aux sirènes de la marque privée. Pronto maintient ainsi une offre limitée en la matière, et priorise les marques premium afin de ne pas grignoter ses marges.
M. B.
Connectivité
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- Europe/ USA : mêmes combats
Connectivité croissante et accès aux données : de sacrées opportunités pour les réseaux primaires, une sacrée menace pour les indépendants. On ne parle pas de l’Europe mais bien des États-Unis. Mêmes causes et mêmes effets sur la planète auto, quelle que soit la région : au pays de l’Oncle Sam, 80 % du parc roulant sera connecté d’ici 2030. Les concessionnaires sont dans les starting-blocks. Les indépendants également. Mais là aussi, le plus gros problème auquel se confronte le secteur IAM, c’est le droit d'accéder aux informations sur les véhicules et le libre choix du réparateur par le consommateur. « Les indépendants viennent de remporter une bataille dans l’État du Massachusetts pour permettre aux usagers de contrôler les données de leur véhicule (https://yourcaryourdata.org/). Mais la guerre est loin d'être terminée. Il faut argumenter sans relâche pour sensibiliser le public à cet enjeu », indique Robert Roos, président de Pronto. Ainsi, la campagne d’information « Ta voiture, tes données, ton choix », à laquelle il participe, est lancée par l’Automotive Aftermarket Suppliers Association et l’Auto Care Association. Objectif : faire plier le Congrès sur l’utilisation unique des données et leur partage par le propriétaire du véhicule, et non pas le constructeur. Et il y a urgence : 71 % des Américains pensent à tort que la data de leur véhicule leur appartient…
M. B.
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