Procès Nobilas (suite) : nous sommes condamnés… à la marge !

Jean-Marc Pierret
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La XVIIème chambre du tribunal correctionnel de Paris a rendu hier son jugement dans le procès que nous a intenté Nobilas. Si la diffamation est retenue contre nous pour deux commentaires de lecteurs, l'essentiel est acté : aucun de nos articles n'a été incriminé et le tribunal a jugé «légitime pour un site consacré aux problématiques de la réparation automobile de donner son point de vue, même critique». Nobilas, qui nous demandait plus de 150 000 euros, ne peut finalement en espérer que 300. Nous interjetons quand même appel...

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Nous vous l'annoncions au lendemain du procès qui nous opposait le 5 janvier dernier à Nobilas devant la XVIIème chambre correctionnelle du tribunal de Paris : le délibéré devait être rendu le 23 février. Nous avons donc pris hier connaissance de la décision du tribunal. Il nous a condamnés pour diffamation sur la base ténue de deux phrases relevées au détour de deux commentaires de lecteurs. Deux petites phrases jugées “diffamatoires” qui n'avaient pourtant pas été identifiées comme telles par le Parquet durant son réquisitoire de janvier dernier. Nous les livrons à votre sagacité :
  1. «De plus, les loueurs pourraient eux aussi se mettre de la partie : un petit procès pour concurrence déloyale. La aussi DGCCRF peut intervenir : les VDR (véhicules de remplacement) ne sont jamais payés à leur prix de revient» ;
  2. «Nobilas a gardé l’argent des réparations que nous avons effectuées et qui nous appartient, soi-disant en compensation des cotisations annuelles dues jusqu’à la fin du contrat de 5 ans».
Si le réquisitoire avait expressément exhumé ces deux éléments lors de l'audience, il nous aurait alors sûrement permis de les remettre en perspective et de les justifier. Le tribunal n'aurait peut-être pas conclu aussi facilement que nous n'avons pas pu en l’occurrence démontrer notre bonne foi concernant ces deux seules affirmations. Nous aurions pu aisément lui apporter «une base factuelle suffisante de nature à étayer ces imputations identifiées comme diffamatoires».Certes, la sanction édictée par le tribunal à notre encontre s'avère bien clémente pour une diffamation : 300 euros d'amende (et assortis du sursis !), 300 euros de dommages & intérêts et bien sûr, le paiement des dépens par nos soins. Notre condamnation en devient du coup presque dérisoire, comparée en tout cas aux vertigineux 152 500 euros qu'exigeait Nobilas dans un déluge de griefs égrenés 8 heures durant par ses avocats devant la XVIIème chambre. Pour mémoire :
  • 28 propos dénoncés par la plateforme de gestion de sinistres comme «diffamatoires» et/ou «injurieux», tous extraits de nos articles ou des commentaires qu'ils avaient suscités chez nos lecteurs ;
  • notre refus de l'époque d'accueillir une publicité de Nobilas sur ce site ;
  • et la façon dont nous avions décidé de publier son premier droit de réponse, non formellement conforme au droit de la presse selon notre adversaire.
Mais même si le tribunal nous a donc absous de presque tous ces reproches, même si sa condamnation est symbolique, nous allons quand même interjeter appel de ce jugement.
Nos articles sur Nobilas, «même critiques», reconnus «légitimes»
Car le résultat de ce procès demeure à nos yeux aussi incompréhensible qu'injuste. A fortiori après que le jugement ait retenu l'essentiel en notre faveur : parmi nos articles incriminés par Nobilas, aucun n'a finalement été jugé diffamatoire ou injurieux. Le tribunal a même reconnu que, «en l'espèce, il apparaît légitime pour un site consacré aux problématiques de la réparation automobile de donner son point de vue, même critique, sur une importante restructuration du secteur et les conséquences susceptibles d'en résulter (...)».Il en va de même pour la très grande majorité des commentaires de nos lecteurs. Le jugement les a pris patiemment un à un, considérant ceux-ci comme «ne reflétant à l'évidence que les doléances sur l'insuffisance des taux horaires, l'estimation désavantageuse des heures nécessaires de main d’œuvre ou la dureté de certaines clauses contractuelles», celui-là comme «contrariant mais à tout le moins inoffensif», cet autre comme «la simple expression imagée d'une crainte devant un risque de perte d'indépendance»...Même les plus féroces qualificatifs employés par nos lecteurs, qualificatifs que Nobilas espérait voir considérés comme injurieux et attentatoires à son honneur, ont finalement trouvé grâce aux yeux du tribunal. Il a ainsi décidé que, «pour blessant et outranciers qu'ils puissent paraître à la société Nobilas, il n'apparaît pas (...) que [ces] passages poursuivis excèdent la liberté de ton admissible dans un débat d'intérêt public, largement relayé au demeurant par des organisations professionnelles et syndicales influentes».
Le louable effort de compréhension du tribunal
Reconnaissons-le bien volontiers : même s'il nous a condamnés, le tribunal a fait montre d'un louable effort de compréhension des dessous de la réparation-collision, du sérieux de nos enquêtes qui inspiraient nos articles en 2013 comme d'ailleurs du contexte dans lequel réagissaient alors nos lecteurs carrossiers. Pour l'essentiel, le jugement a ainsi confirmé notre position et celle de nos lecteurs «eu égard tant au contexte dans lequel ces propos ont été tenus, caractérisés par une très vive tension liée à la dénonciation par Axa (...) des accords qui la liaient à ses réparateurs automobiles, qu'à la qualité des intervenants, tous manifestement directement concernés par cette annonce et par les menaces, qu'à tort ou à raison, elle paraissait faire peser sur un secteur professionnel déjà très largement fragilisé par la baisse de la sinistralité automobile et l'apparition de nouveaux modèles économiques».Il est vrai aussi que, durant les débats, nous avons plusieurs fois attiré l'attention du tribunal sur cette évidence : les propos tenus par nos lecteurs ne devaient pas être jugés à l'aune décontextualisée de leur forme parfois rude, mais bien à celle, légitime et fondée, des inquiétudes et de la désespérance qui les avaient inspirés. Notre avocat, Me Jean-Marc Fedida, a même brillamment plaidé pour une liberté d'expression qui ne peut être réservée aux seules «personnes de salons, rompues aux subtilités du conditionnel ou de l'imparfait du subjonctif» ! Tous ces arguments ont visiblement porté, renforcés qu'ils ont été par les interventions de nos témoins cités à la barre en fins connaisseurs des arcanes de la réparation-collision. Qu'ils en soient ici encore chaleureusement remerciés.Reste néanmoins ces deux commentaires finalement retenus contre nous par le tribunal. Notre bras de fer judiciaire avec Nobilas est donc loin d'être terminé. Prochaine étape : la Cour d'appel de Versailles, qui examinera en juin prochain cette autre condamnation obtenue par Nobilas le 23 décembre 2014 devant le tribunal de Commerce de Nanterre. Nous y avions été condamnés à... 70 000 € de dommages et intérêts et pénalités diverses pour un inattendu «dénigrement commercial» qui nous semble pourtant peu opposable à un organe de presse. Sauf à permettre ainsi à toute entreprise d'exiger dorénavant des journalistes qu'ils produisent à la chaîne de prudents articles inévitablement complaisants.Comme d'habitude, on vous tiendra au courant...
Jean-Marc Pierret
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