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Arroser enfin l’arbre malingre de la main d’œuvre tout en s’attaquant à la forêt de la pièce ?

Jean-Marc Pierret
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Alors que la réparation-collision devient de plus en plus consommatrice de formation, d'investissements et de compétences, alors qu'elle a de plus en plus de mal à attirer des professionnels rebutés par les salaires et les conditions de travail, n'est-il pas urgemment temps pour les assureurs et les constructeurs de revisiter habitudes et certitudes pour réfléchir enfin à la meilleure façon d'assouplir le prix des pièces et de mieux financer la main d’œuvre ?

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La MAIF, qui avait suscité la désapprobation de ses consœurs compagnies et mutuelles en annonçant, au cœur du confinement, rendre 100 M€ à ses sociétaires, persiste et signe. Dominique Mahé, son président, vient d’annoncer geler ses tarifs automobiles 2021, quand les acteurs de l’assurance automobile s’attendent plutôt à devoir augmenter leurs primes de 1,5% à 2%, vient de rappeler notre confrère Argus de l’Assurance.

Ces 100 millions avaient effectivement illustré cette évidence que d'autres assureurs préféraient alors garder sous le tapis du confinement : la chute de la sinistralité était immédiatement synonyme de gains immédiats. Nous avions d'ailleurs tenté de les évaluer début avril dernier. Si cette manne restait alors classée « confidentiel-défense » par des services de communication d’assureurs logiquement peu enclins à souligner l’opportunité économique pour eux alors même qu'on leur reprochait de bouder la prise en compte des pertes d’exploitation, cette baisse n'en était pas moins, évidemment et mécaniquement, à la hauteur de la chute « confinementale » des kilomètres parcourus.

Traiter les coûts de la sinistralité…

Le président de la MAIF vient d’ailleurs de post-évaluer cette baisse de sinistralité à -80%, tout en précisant à notre confrère que depuis le déconfinement, la mutuelle constate que le taux est revenu à la normale, sans observer non plus « de sur-sinistralité par rapport à la saisonnalité habituelle ». Un retour de business certes précieux aux carrossiers massivement maltraités par la crise sanitaire, mais qui montre hélas que le rattrapage constaté en mécanique ne s’applique pas à la réparation-collision. Pour cette dernière, pas de kilomètre parcouru, pas de sinistre…

Selon le cabinet Facts&Figures cité par notre confrère, les assureurs préfèreraient augmenter leurs tarifs 2021 pour les mêmes raisons habituellement évoquées. Les assureurs se plaignent d’avoir à toujours plus provisionner pour supporter des coûts corporels en hausse constante, mais aussi parce qu’ils subissent la hausse régulière du prix des pièces (+7,8%) et de la main d’œuvre carrosserie (+2,7%), toujours selon les chiffres du cabinet. La MAIF concède d’ailleurs que cette décision de geler ses cotisations 2021 lui coûtera 30 M€ de chiffre d’affaires, ce qui correspond à la hausse de 2% initialement prévue.

… sans maltraiter continuellement les carrossiers

La MAIF pense au pouvoir d’achat de ses sociétaires. Fort bien. Elle évoque aussi la dure condition conjoncturelle des carrossiers. A la bonne heure. « Les réparateurs automobiles ayant eux aussi subi la crise de plein fouet, cela se répercute encore davantage sur le coût de la réparation », souligne ainsi Dominique Mahé.

Il est vrai que les réseaux de carrossiers ont souligné que les assureurs et autres apporteurs d’affaires ont su faire quelques gestes ici ou là. Ils ont suspendu des réductions de taux de MO espérées des carrossiers agréés, parfois même ont-ils anticipé des hausses prévues pour 2021. Le tout, pour aider les carrossiers exsangues à encaisser l’impact du confinement sur leurs comptes…

Mais fort de ce double constat -des pièces de plus en plus chères trop longtemps compensées par un seul taux de main d’œuvre rogné jusqu’à l’os- n’est-il pas temps pour les assureurs de se poser enfin la bonne question, à savoir s’attaquer enfin aux raisons structurelles de ces pièces de carrosserie trop chères ?

Plus rien à gratter chez le carrossier

On sait leurs plateformes de gestion de sinistres, intégrées ou externalisées, discrètement conscientes qu’il n’y a plus grand-chose à gratter sur le dos des carrossiers. Même Nobilas, maintenant détenu à 100% par AXA, vient de rompre avec sa tradition de cost-killer en assouplissant ses conditions si longtemps exorbitantes de droit commun.

Le monde assurantiel pense bien sûr en avoir encore un peu sous le pied. Il compte par exemple sur l’inéluctable baisse de la sinistralité espérée des assistances à la conduite (-16% d'accident et -22% de réparations d’ici 2030, prédit ICDP en Europe), son corolaire de concentration du nombre de carrosseries et les concomitantes économies d’échelles qu’ils en attendent.

Mais l’arbre devenu maigrelet de la main d’œuvre n’a plus tant de fruits à tendre aux assureurs. A fortiori à l’heure où les process de réparation deviennent de plus en plus consommateurs de formations, d’équipements et d’investissements qui doivent pouvoir se financer par une inévitable (re)considération de la valeur travail.

Respecter -enfin- la montée en gamme des métiers de la réparation-collision

Seuls peuvent ignorer les contraintes croissantes qui pèsent de plus en plus lourdement sur l’activité d’une carrosserie ceux qui ne voient pas -ou ne veulent pas voir- quels trésors d’organisation, de formation et d’équipement il faut déployer pour ne pas susciter, dans un même espace de ponçage, la très explosive et potentiellement mortelle rencontre des poussières d’acier et d’aluminium ; ceux qui n’ont pas conscience que la poudre de carbone est aussi cancérogène que l’amiante ; ceux qui n’ont pas compris qu’il faut de plus en plus scientifiquement gérer l’aspiration de solvants aux densités volatiles variables.

Et nous n’avons pas encore parlé des outils de soudage complexes qui doivent traiter intelligemment une variété croissante de matériaux et de cahier des charges ; ni de ces cabines de peinture exigeant des procédures de purification d’air, d’aspiration et de mise en température dignes de la conquête spatiale. Il suffirait pourtant de visiter l'installation Weinmann flambant neuve du CFA de Nogent-sur-Oise (60) pour le comprendre.

Oui, seuls ceux qui pensent qu’ils peuvent malgré tout encore espérer sous-rétribuer le geste technique et les matériels du carrossier ou du peintre peuvent feindre d’ignorer qu’il faut pourtant mieux les payer si on veut pouvoir encore les attirer dans ces ateliers déjà dramatiquement en déficit de postulants.

La solution est ailleurs

Non, l’arbuste malingre du taux de main d’œuvre ne peut plus cacher l’obscure et luxuriante forêt du prix des pièces captives. Tout particulièrement dans cette France jalouse de son exception européenne du monopole des pièces de carrosserie…

Bien sûr, les assureurs cherchent des solutions pièces. Par exemple en tentant de s’organiser en centrales d’achat pour obtenir de meilleures conditions sur le prix des composants. Mais la vérité n’est-elle pas à chercher ailleurs ?

Nous reviendrons bientôt sur les complexes mécanismes qui, du VN flambant neuf jusqu’aux mystères d’alcôve des VHU, font que les assureurs ne s’attaquent pas ouvertement au tabou du prix des pièces captives françaises et que les constructeurs français tardent à se mettre au diapason d’une libéralisation des pièces de carrosserie adoubée dans tous les autres pays d’Europe.

L’inéluctable révolution copernicienne

Mais les assureurs sont à l’orée d’une nécessaire et inéluctable remise en question. S’ils veulent continuer à disposer d’un nombre d’entreprises de réparation-collision à la fois suffisamment large pour assurer une rapidité d’intervention et suffisamment formées pour pouvoir garantir une réparation -et des services- de qualité, il faudra bien qu’il cesse de considérer le carrossier et sa masse salariale comme la seule variable majeure d’ajustement. Et ce ne sont pas les assurantielles centrales d’achat de pièces qui trouveront la solution, surtout si elles réduisent à la fois le chiffre d’affaires et la marge sur les pièces ainsi fournies, sans bol d’air au moins compensatoire dans la rétribution de la main d’œuvre.

Quant aux constructeurs, il leur faudra bien aussi sortir la tête du sable monopolistique qui leur cache la baisse tendancielle des pouvoirs d’achat et la montée des nouvelles habitudes de consommation.

Mais dans les deux cas, on attend toujours l’arrivée d’un souffle de bon sens. Ou du perturbateur qui, en bousculant cet écheveau branlant de la pièce de carrosserie à la française, forcera les deux puissants assureurs et constructeurs à faire leur révolution copernicienne. Le premier en redevenant l’allié objectif du carrossier dont il ne peut de toute façon pas imaginer se passer ; le second, en trouvant d’autres façons de si bien vivre de ses pièces en cessant pourtant de les confisquer abusivement -et paresseusement- au domaine concurrentiel.

Car tôt ou tard, il faudra bien comprendre que les pressions croissantes sur le pouvoir d'achat, sur la sécurité automobile, voire sur l'environnement, feront voler en éclat les rentes de situation des uns et des autres...

Jean-Marc Pierret
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