T. Lesueur (Lubrifiants TotalEnergies) : « Le label Elf Expert signe le début d’une histoire avec les ateliers indépendants »
Dans un contexte porteur de sortie de crise de la supply-chain avec un marché des lubrifiants de bonne tenue, le leader hexagonal confirme sa conquête « raisonnable » des acteurs de la rechange indépendante. Décryptage d’une conjoncture porteuse par Thibault Lesueur, le directeur Lubrifiants TotalEnergies Marketing France.
Comment s’est comporté le marché des lubrifiants en 2023 et quelle dynamique pour ce début 2024 ?
Thibault Lesueur : Il a été et reste robuste. Le marché est porté par la résistance du parc qui vieillit, avec des véhicules qui roulent toujours autant et des clients qui souhaitent entretenir leur véhicule qui a pris de la valeur. En conséquence, sur ce marché mature, le segment des lubrifiants reste très actif. 2024 prend la même tendance que 2023 [N.D.L.R. : + 1,9 % en 2023 en volume selon le CPL ].
Comme fournisseur de lubrifiants, vous ne ressentez donc pas encore les premiers effets de l’électrification du parc ?
T. L. : Nous aurions pu anticiper un effondrement du marché de l’entretien automobile du fait d’une électrification qui devait être plus forte. La réalité est que le glissement du parc vers l’électrification se fait encore beaucoup par les modèles hybrides, qui ne changent rien en matière de lubrifiants. On constate donc une résistance du monde de l’après-vente. S’y ajoute celle des consommateurs face aux prix élevés des VE. Tout cela fait que le consommateur a pour l’instant arbitrer en faveur de son « vieux » véhicule et qu’il souhaite l’entretenir. Sur les flottes, le marqueur électrification est plus fort, mais nous ne le ressentons pas encore non plus. En revanche, nous anticipons une forte segmentation des parcs entre centre urbain/campagne, véhicules de flotte vs personnels, et entre petits véhicules qui s’électrifieront plus largement et gros véhicules plutôt thermiques et anciens. Reste la question de la seconde vie du VE, et notamment dans les flottes : comment ce flux va-t-il être accueilli par le marché pour éventuellement porter un nouveau souffle à l’électrification du parc VL ?
Dans cette conjoncture porteuse, quelles sont les performances de TotalEnergies Lubrifiants ?
T. L. : Avec nos deux marques à fort taux de notoriété, Elf et TotalEnergies, nous bénéficions pleinement de cette bonne dynamique. Nous surperformons les tendances du marché. Et nous anticipons une année 2024 de très bon niveau, portée par le même usage automobile et quasiment plus de pénuries. Nos marques rassurent et bénéficient de cette dynamique plus fortement que les autres. De plus, nous sommes présents sur l’ensemble des segments de marché. Cela nous permet de suivre le cycle de vie du véhicule, de son premier entretien dans les ateliers des réseaux de marques, à la suite de sa vie dans les centres autos, chez les fast-fitters et spécialistes mais aussi sur les canaux internet avec notamment Oscaro et depuis le début d’année Amazon. Nous sommes également de plus en plus présents dans les ateliers indépendants.
Effectivement, traditionnellement mobilisé sur les réseaux de marques, TotalEnergies a élargi son champ d’action vers les indépendants avec son label Elf Expert en 2022. Où en êtes-vous du déploiement ?
T. L. : En mars dernier, nous avions déjà recruté 552 MRA. Le déploiement du label progresse donc très bien. Cette offre qui porte la marque Elf a été calibrée pour les garages indépendants. Elle comprend la gamme de produits Elf Evolution, des emballages adaptés (bag-in-box de 20 litres) rangés dans un bar à huile dédié. Nous avons également lancé des formations et d’ores et déjà formé 500 garages en présentiel. Une série d’animations promotionnelles complète le dispositif.
Et plus récemment, nous avons étoffé le label en proposant une station de vidange des boîtes de vitesse automatiques à notre réseau Elf Expert. Cette solution progresse bien chez les clients qui souhaitent se lancer dans cette prestation très spécifique. Les ateliers sont amenés à réaliser des opérations de plus en plus complexes, c’est important de les accompagner. Nous sommes donc très satisfaits du rythme de développement d’Elf Expert, qui prouve que nous répondons à une vraie attente du marché.
Outre votre team terrain, vous souhaitiez vous appuyer sur les réseaux de distribution pour recruter des garages. Des concrétisations ?
T. L. : Il est vrai que nous avons d’importantes équipes sur le terrain qui sont segmentées entre l’univers du garage, celui des contrats centralisés des fast-fitters/GMS/centres autos et enfin les équipes qui traitent l’activité sur Internet. Ce dispositif nous permet d’avoir un maillage fin du territoire français, des différentes attentes et nouveaux usages. Et pour nous aider à déployer le label, nous avons décidé de nous rapprocher également de la rechange indépendante. Nous avons déjà mis en place un partenariat avec plus d’une dizaine de distributeurs régionaux. Nous découvrons un nouveau métier, car travailler avec des magasins locaux demande une grande rigueur en matière de construction de gamme, de services, d’animations commerciales… Et notamment d’accompagnement et de formation des équipes de vente des distributeurs qui ne sont pas des spécialistes du lubrifiant. Et c’est d’ailleurs une excellente voie pour proposer le concept Elf Expert à leur clientèle de garages indépendants. C’est le début de l’histoire pour nous ! Nous progressons bien sur ce marché IAM, avec une belle croissance qui reste raisonnée, car nous ne voulons pas déséquilibrer notre leadership remportée via notre positionnement historique sur la vente en direct. Aller vers les acteurs de l’IAM est stratégique pour nous, mais dans le même temps nous ne souhaitons pas « acheter de la part de marché » à tout prix.
Vous êtes très actifs sur l’animation des marchés… et l’innovation ?
T. L. : Nous développons effectivement tout un dispositif commercial et marketing qui anime ces ventes et cela fonctionne très bien. Notre moteur pour cette année est le lancement du nouveau produit TotalEnergies Quartz RCP 5w30 répondant aux nouvelles spécifications des véhicules du groupe Stellantis, essence et diesel. Nous sommes d’ailleurs l’un des seuls à avoir été en mesure de fournir dans un temps record ce produit qui accompagne la démarche de fiabilisation des moteurs du constructeur. Et comme notre mission est d’accompagner nos clients dans leur métier et leur transformation, d’ici la fin de l’année nous présenterons d’autres innovations clés.
Crise de la supply-chain, pénuries… Tout cela est du passé ?
T. L. : Nous avons vécu des pénuries de matières premières comme l'ensemble de la profession. Nous restons prudents face au contexte international. Nous avons récemment vu comment un conflit en Europe pouvait perturber les chaînes d’approvisionnement. Nous avons appris beaucoup de choses de ces "multicrises". Nous avons beaucoup repensé nos modes de fabrication en rendant nos sites de production (dont aucun n’a été fermé) plus polyvalents, simplifié nos emballages, re-exploré nos chaînes d’approvisionnement en travaillant des solutions alternatives. Nous avons finalement revisité nos process et redéfini nos priorités pour mettre en place des règles de gestion à l’aune d’un contexte plus incertain. Désormais, on peut se (re)concentrer sur le développement commercial et plus sur la gestion de crise.
Inflation historique des tarifs sur les lubrifiants 2022 : sommes-nous revenus à des tendances raisonnables ?
T. L. : Nous sommes toujours sur une tension générale des prix de nos matières premières, et notamment sur le pétrole au niveau mondial. De plus, certains de nos fournisseurs restent tendus en termes de ressources… Mais actuellement, nous ne subissons pas des hausses fortes. Cela étant dit, nous restons raisonnables sur nos prix, et malgré les signaux de tensions, pour l’instant, nous maintenons nos prix. Il faut noter que nous n’avons répercuté ces hausses que sur nos tarifs 2022 ! C’est aussi le résultat d’un apprentissage de la crise : nous projetons nos coûts à quatre mois en fonction des stocks, de la visibilité de nos marchés de matières premières. Nous sommes cependant dans un contexte où les acteurs sont prudents car nous ne sommes pas l’abri d’une nouvelle crise de la supply-chain du fait notamment des tensions internationales qui détournent les flux.
Sur ces périodes de crise, nous avons accompagné nos clients le plus possible, notamment en poursuivant les animations commerciales. Et aujourd’hui encore, il faut continuer de nourrir cette proposition de valeur avec de nouveaux produits toujours plus techniques, une animation commerciale forte. En fait, nous n’avons jamais transigé sur le lien de proximité et la qualité relationnelle avec nos clients.
Pouvez-vous nous faire un point sur l’avancée de Cyclevia, l’écocontribution initiée il y a deux ans ?
T. L. : Cyclevia fêtera ses trois ans fin 2024. C’est un succès pour tous, car sortir aussi rapidement une solution dans l’univers très compliqué des REP était une gageure. C’est aussi un succès sectoriel : tous les acteurs industriels du lubrifiant ont joué le jeu. L’enjeu est d’importance car il s’agit d’assurer la circularité de nos produits en récupérant les huiles usagées pour en refaire des huiles neuves (molécules retraitées puis additivées). Il faut noter que la solution est onéreuse. Car les investissements dans les unités naissantes sont importants, tout comme les investissements nécessaires sur certains territoires ultra-marins. L’équation à ce stade reste compliquée car la technique ne nous permet pas encore de produire les gammes les plus techniques sur base régénérée. Mais à terme, nous serons en mesure de dépasser cet écueil technique. Et nous avons déjà des clients qui sont adeptes des produits « éco-friendly » et nous progressons rapidement avec nos clients grands comptes qui cherchent des solutions Eco-Responsables.