BF, distribution, vente directe : les manufacturiers rêvent-ils de contrôle ?

Muriel Blancheton
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pneus

Installé depuis des lustres par les manufacturiers, le barème de facturation (BF) donne encore le tempo au marché. Des manufacturiers qui contrôlent déjà la distribution, s’approprient directement ou indirectement des réseaux de réparation… et vendent eux-mêmes des pneus en ligne à des prix imbattables. Les pros bataillent pour garder leur part de la chaîne de valeur…

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« Il n’est pas question de lâcher le pneumatique qui est une pièce de grande consommation dans mon atelier. Mais je n’ai pas le temps de faire une veille permanente sur les prix pratiqués sur le marché. Les voitures sont sur le pont et les clients sont en face de moi », clame Antoine Constant. Ce réparateur multimarque 100 % indépendant est installé depuis douze ans dans un quartier résidentiel de Rueil-Malmaison (92). Il écoule 600 enveloppes par an, mais il constate des prix affichés nettement inférieurs sur les sites BtoC par rapport à ceux qui lui sont proposés dans les barèmes de facturation des manufacturiers. Des distorsions croissantes relevées entre ses prix d’achat via son fournisseur principal (Distrigo dans 80 % des cas pour des facilités de dispo) et les sites marchands comme Allopneus, propriété de Michelin pour rappel. 

Et de citer en exemple une enveloppe Premium placée à 193,50 € HT pour une monte courante, que le garage achète à 114 € HT, « avec 41 % de remise sur un BF qui ne cesse de grimper ! Sauf que cette même enveloppe est vendue au grand public à seulement… 101 € TTC montage compris ! Pourquoi ? », demande le patron qui s’aligne invariablement en rognant sur sa marge pour ne pas perdre une clientèle informée et ultra-prudente sur des dépenses contraintes comme le pneumatique. 

Sur certaines MDD comme Reliance d’Eurorepar, il constate même des BF plus cohérents que sur des Premium. « Du coup, mes ventes vers ce genre d’enveloppes sont en augmentation sur les dimensions courantes », indique le patron. Il regrette cette bataille sur du Premium avec des manufacturiers « qui se tirent une balle dans le pied et ne jouent pas le jeu avec nous. Moi, je veux simplement gagner ma vie en évitant de passer pour un voleur auprès de ma clientèle », lance Antoine Constant.

S’interrogeant toujours sur la valeur et le statut donné à ce BF, il a mené son enquête. Sa conclusion est radicale : « J’ai compris qu'il ne sert qu'aux négociations d'achat en distribution. Mais en ce qui concerne ce que j’appelle la vraie vente, celle qui se fait vers l'utilisateur final par mon intermédiaire, c’est compliqué ! Entre ceux qui prennent une marge nette fixe en fonction de la dimension, ceux qui remisent pratiquement au tarif d'achat et ceux qui tentent d'appliquer de la remise sur le barème mais ne récoltent que peu de ventes, c’est l'anarchie totale ! », résume-t-il. 

« Le barème est un artifice »

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Pneu production

Mais deux questions demeurent : pourquoi le client final obtient-il des prix plus intéressants que les réparateurs ? La distribution ne peut-elle adapter ses prix en fonction de chaque zone de chalandise et avec des marges cohérentes pour tout le monde (voir encadré) ? Cela supposerait la fin de règne d’un barème créé à l’origine pour faire de la remise et auquel pouvaient s’ajouter d’autres rabais ou conditions… 

Car ce barème semble indéboulonnable. Ancré dans les mœurs et les pratiques commerciales, il est devenu la référence. Or, si une bonne partie de la profession y reste attachée, tous reconnaissent du bout des lèvres qu’elle ne sert plus à grand-chose. Le barème n’a en réalité aucune valeur indicative dans le prix de vente vers le consommateur ni de valeur réelle sur le prix du produit. Les fabricants l’utilisent pour faire des réajustements de prix en cas de compétition trop rude sur un produit particulier. « Le barème est un artifice utilisé par les fabricants pour faire de la marge additionnelle. La seule explication qui pourrait justifier sa présence en France est qu’il serait devenu un tarif européen qui permettrait de réguler le positionnement entre les pays, comme la France et l’Allemagne », lance un acteur du marché

Acheter et revendre au bon moment

Pour l’ensemble des acteurs interrogés, le différentiel de prix constaté par notre réparateur entre son prix d’achat chez son fournisseur et le prix public peut se justifier économiquement : en 2022, les manufacturiers ont encore pu écouler à bon prix vers le client final, sur des sites de vente en ligne, leurs propres pneumatiques qu’ils avaient en stock depuis plus d’un an. Mais pas pour le distributeur. Lui achète et subit depuis quinze mois des hausses continues de 12 à 20 %, générées par l’explosion des coûts des matières premières, du transport et du carburant. 

Et surtout, l’industriel fabrique son pneumatique, mais aussi son prix. « L’inflation n’est pas la seule raison de la flambée tarifaire que nous subissons », s’agace ce grossiste. « Certains Premium ont profité de la pénurie pour imposer jusqu’à huit hausses dans l’année ! D’autres ont annoncé une hausse de barème de 12 %... avant de le diminuer de 16 % six mois plus tard lorsqu’ils se sont rendu compte qu’ils perdaient des ventes. Ils se sont fait rattraper par la concurrence des Budget. Et ce grignotage en règle n’est pas terminé pour 2023 », prédit-il. La profession est-elle devenue la variable d’ajustement des manufacturiers grâce à un barème qui réadapte les prix en fonction des marges, des volumes et des résultats annuels des manufacturiers ?

Comment retrouver sa compétitivité ?

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Pneu atelier

Antoine Constant est bien loin de ces stratégies, mais se retrouve face au client. Par la force des choses, le réparateur est donc parti lui-même en quête d’alternatives : Copadex, Dipropneu, Pneumaclic, 1001Pneus (Cdiscount), Vroomly, Easy Road, Ihle et Allopneus (tous deux appartenant à Michelin), Gettygo… 

Le patron compare les offres et met en concurrence chaque acteur. Son objectif : retrouver de la compétitivité sur le pneumatique avec le bon produit au bon prix, un distributeur basé en France et du délai raisonnable. « Six jours comme je l’ai déjà vu, c’est impossible ! » Certains acteurs sont plus réactifs que d’autres, notamment pour les ouvertures de compte. D’autres multiplient les services et proposent même des challenges. « Je suis obligé de faire cette veille pour chaque dimension. Je n’ai pas le choix. » Mais il apprend vite ! « Je prends du temps pour comparer chaque commande validée par mes clients. Du coup, sur quatre enveloppes pour un même véhicule, je peux acheter auprès de deux sources différentes. Je reconstruis ma marge [il dégage en moyenne 20 € de marge supplémentaire par paire de pneumatiques, ndlr] et surtout je tiens un discours plus cohérent et informatif à mon client. Cette veille est chronophage ; mais elle diminuera en même temps que mes connaissances augmenteront. »

Des connaissances qu’il aimerait approfondir notamment sur le côté technique des enveloppes, pour améliorer son argumentaire. « Le pneu, c'est vraiment très intéressant. Ce qui est décevant, c'est que seul le tarif est mis en avant pour le grand public. Il y a peu d’informations techniques. D’ailleurs, lorsque j’interroge les commerciaux de tous bords, personne n'est capable d’expliquer la fabrication du pneu, ce qui provoque son usure, la différence entre un bon et un mauvais pneu, les performances distinctes entre les marques… »

À bon entendeur !

La distribution prise dans un étau

« La rationalisation du marché, opérée il y a plus de vingt ans, fait que derrière un grossiste, il y a bien souvent un manufacturier », rappelle un patron d’enseigne. Et de citer notamment Continental avec Van Den Ban Autobanden (Pays-Bas), ou encore Michelin avec Ihle voire d'autres.. Les fournisseurs investissent ou s’appuient sur des accords qui les engagent durablement avec des distributeurs qui deviennent leurs logisticiens. « Ils s’ôtent ainsi la charge de la logistique en nouant des accords avec ces revendeurs adoubés qui stockeront pour eux. Passer le cap de la livraison via un dépôt intermédiaire qui fait le job tout en livrant le client final leur permet de gonfler leur résultat net. Depuis dix ans, les financiers ont pris la main de ces groupes internationaux qui doivent sortir des dividendes et un ROI sans précédent. Comment expliquer, après deux ans de crise, des statistiques de ventes en décroissance mais des courbes de résultat net ascensionnelles sur la même période ? À qui profite la crise ? », ironise cet autre distributeur. 

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Pneus stock

Les industriels ont compris depuis longtemps que la distribution – en mode intégré ou non – n’est pas si simple à gérer, surtout en multimarque. Du coup, la vente digitale leur permet de capitaliser sur leur notoriété via leurs communications massives vers le BtoC, et sur leurs réseaux physiques (retail, succursalistes, grossistes). Ils jouissent de réseaux achetés ou contrôlés. « Ils sautent par-dessus la distribution qu’ils ont tous eux-mêmes financée ou organisée ! Ils jouent sur l’attractivité de leurs marques avec des prix en ligne compétitifs. Et peuvent même pour certains orienter le client en ligne vers leurs réseaux partenaires. Si la distribution ne réagit pas plus que cela, le danger est grand d’être à terme doublé sur les ventes d’enveloppes. Il ne restera à cette distribution que la prestation courante pour travailler, mais surtout les yeux pour pleurer », avertit un acteur du marché, qui cite l’exemple des assureurs orientant le client vers des réseaux agréés, avec des prix déjà négociés. 

A suivre…

Muriel Blancheton
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