Distribution verticalisée sur un marché consolidé, arrivée de mastodontes étrangers, stratégie PR des réseaux constructeurs… Hugues Archambault constate les bouleversements du marché de la pièce. Acteur des négociations lors de la vente de Précisium à AAG, le patron français de la banque d’affaires internationale GCA Altium voit même la prochaine révolution, celle de la cession programmée de PHE, avec un LKQ aux aguets, entre autres…
- Combien de temps encore avant que PHE ne sorte du fonds Bain Capital ?
H. A. : Il est probable qu’il soit revendu avant 2020. Et LKQ est le premier sur la liste. Comment laisser passer une occasion pareille ? L’affaire est superbe et financièrement, LKQ a largement les capacités pour acheter en France, même après les absorptions récentes comme le distributeur allemand Stahlgrüber, racheté près de 1,3 Md$ (1,15 Md€) il y a deux ans. Il faut bien comprendre que LKQ se désendette très vite, à hauteur de 500 M$ (444 M€) par an. Il réalise jusqu’à 17 Md$ (15,11 Md€) de CA avec une marge à deux chiffres, soit 1,5 Md$ (1,33 M€) de résultat chaque année, avec une bonne partie en cash-flow pour rembourser de la dette. On peut juste souligner ce que l’on appelle la valorisation relative de LKQ, près de onze fois son résultat contre treize fois il y a peu. Et il est évident que Bain Capital va vendre plus de dix fois le résultat de PHE, qu’il a payé à l’époque 600 M€. Ils devraient en toute logique demander 1, 5 Md€. Un équilibre va devoir se trouver.
- Pourrait-on voir un autre acteur que LKQ sortir du bois ?
H. A. : Absolument ! Un autre Américain comme O’Reilly Auto Parts pourrait être intéressé par un point d’entrée en France mais également au Benelux, Italie et Espagne. Il est encore imposant (5 300 magasins PR sur le sol américain). Et PHE reste le dernier gros bastion disponible en Europe.
- On parle beaucoup des mastodontes de la pièce. Reste-t-il de la place pour les alternatifs ?
H. A. : Ils ont toujours existé. Ils sont locaux, agiles… et ils n’intéressent pas les gros acteurs étrangers en conquête de gros territoires. Il y aura toujours des résistants… même si l’on voit bien que PHE et AAG succursalisent progressivement en rachetant des indépendants dès qu’une opportunité se présente. Ce qui est sûr, c’est que les groupes mondiaux n’aiment pas le modèle de distribution à étages sans maîtrise de la distribution locale. C’est d’ailleurs pourquoi LKQ a racheté Sator et Van Heck Interpieces au Benelux et en même temps des distributeurs clients de ces derniers pour faire de l’intégration verticale et toucher ainsi le réparateur.
- Il y a des fonds d’investissement derrière les géants. Peuvent-ils soutenir des distributeurs de taille plus modeste ?
H. A. : Peu de distributeurs font appel à un fonds car bon nombre sont des entreprises familiales avec une méconnaissance du sujet. Il y a beaucoup de préjugés nourris par des exemples de fonds spécialisés dans les opérations de retournement. Ils rachètent « à la casse » et font un nettoyage complet. Mais c’est une niche. La majorité des fonds ont à leur tête des financiers qui n’ont pas vocation à tuer l’entreprise ou à sortir le management en place. Ils parient sur la croissance d’une affaire et investissent pour la faire croître et gagner de l’argent. C’est aussi simple que cela. Un distributeur avec un minimum de 40 M€ de CA peut y faire appel pour obtenir un apport en fonds propres et gagner une crédibilité financière qui gonflera mécaniquement sa capacité d’endettement. Car si un fonds met 10 M€ sur la table, la banque suivra à la même hauteur. Et là, le distributeur peut voir les choses en plus grand.
- Mais beaucoup de distributeurs n’atteignent pas ce prérequis de CA ?
H. A. : Oui, mais il faut se placer du côté du fonds. Ce palier signifie une affaire qui a déjà franchi un cap avec une centaine d’employés, des points de vente, un outil logistique, un management construit avec un directeur des achats, du réseau… L’affaire grossira d’autant plus facilement avec le fonds qu’elle se consolidera plus vite en intégrant d’autres entreprises de taille plus modeste. Autre prérequis, le grossiste doit avoir un projet stratégique : passer les frontières départementales pour être national, avoir identifié les cibles…
- Le rachat d’indépendants par des concessionnaires semble prendre de la vitesse depuis quelques années ?
H. A. : Le rapprochement du canal constructeur vers les indépendants n’est pas nouveau, mais il va s’accélérer. Gueudet et Delestrez sont les exemples les plus récents. En VN, les marges ne s’améliorent pas, mais les besoins en investissement vont augmenter car les concessions doivent grossir. Elles se rapprochent entre elles, forment des entités aux besoins grandissants, et la pièce en fait partie. Cela a du sens. Elles achètent donc le savoir-faire de l’indépendant, sa proximité, son portefeuille clients, et outre toutes les synergies possibles en termes d’achat et de logistique, elles veulent également capter le client via le cycle complet de vie du véhicule. PSA a ouvert la porte avec AramisAuto et Distrigo. Renault a suivi avec Exadis. Le Losange a payé pour voir…
- Le Losange annonce à présent 150 plateformes d’ici trois ans…
H. A. : Oui, la stratégie est différente car sans rupture avec le réseau primaire, à la différence de PSA qui a cassé son modèle de distribution pour en créer un nouveau. Les tailles de plaques devraient être plus modestes mais plus nombreuses. Il n’y a pas de modèle meilleur que l’autre. Laissons le temps au temps car une fois un modèle choisi, on ne le change pas du jour au lendemain. Changer son modèle logistique, c’est prendre le risque de casser son business. La pièce de rechange, c’est également une révolution culturelle chez les constructeurs. C’est d’ailleurs pourquoi ils recrutent le savoir-faire chez les indépendants…
- Peut-on imaginer un spin-off de PSA Retail à des fins boursières ?
H. A. : Financièrement, cela pourrait-il être intéressant ? Distrigo est dédié à la pièce et n’est pas suffisamment important dans la sphère de PSA Retail. Or l’activité essentielle de cette dernière, c’est la distribution de véhicules, marché mal valorisé par la Bourse. Mais on peut extrapoler ! Le constructeur, quel qu’il soit, est toujours valorisé moins de dix fois son excédent brut d’exploitation, hors marques ultra-premium comme Ferrari, qui représentent l’exception. En revanche, les acteurs indépendants de la distribution PR sont généralement valorisés plus de dix fois. À voir, sachant que cela n’a jamais été fait par un constructeur.
Muriel Blancheton