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CFEA : un recours direct… contre le recours direct ?

Romain Thirion
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La Confédération française des experts en automobile (CFEA), qui regroupe ANEA, UPEAS et BCA expertise, a très officiellement appuyé auprès de la Délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR) pour que le module de formation continue consacré au recours direct dispensé par l’INSERR soit purement et simplement… supprimé ! Une initiative qui place l’organisation, qui se veut le représentant “unique” du métier, dans une position diablement décalée par rapport au mouvement de libération de l’expertise dans lequel s’inscrit le recours direct.
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Les (nombreuses) compagnies d’assurance qui se retrouvent assignées devant –puis condamnées par– les tribunaux pour avoir refusé de se plier au bon droit de recours direct se sont trouvé un allié de circonstance dans leur résistance contre la procédure. Un allié nommé Confédération française des experts en automobile (CFEA) ! L’association, qui regroupe l’ANEA, l’UPEAS, BCA Expertises et, depuis peu, le SEI, s’est en effet distinguée, en début d'année, par un courrier à la Délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR) réclamant, ni plus, ni moins, la suppression du thème “recours direct” de la formation continue aux procédures “Véhicules endommagés” (VE) de l’INSERR ! Une démarche que les compagnies d'assurance n'ont peut-être pas pilotée, mais qui va étonnamment dans leur sens.
Un standard ? Quel standard ?
Pour rappel, l’INSERR –Institut national de sécurité routière et de recherches– groupement d’intérêt public, est le seul organisme national de formation spécifiquement dédié à la sécurité routière. Il forme donc naturellement les experts en automobile, puisque ceux-ci sont eux-mêmes sous la tutelle de la DSCR. De source(s) sûre(s), cette lettre tout à fait officielle signée par Philippe Ouvrard, président de la CFEA (et, accessoirement, de l’ANEA), s’adresse aux responsables de la DSCR pour qu’ils demandent à l’INSERR de retirer le module “recours direct” de son cursus dédié aux experts. La raison ? La procédure n’entre pas dans le schéma standard de formation VE… Les experts ayant suivi le cursus de l’INSERR cette année peuvent en témoigner puisqu’il ne leur a pas été fait mystère de la teneur de ce courrier.Il est vrai qu’IFOR2A, l’organisme de formation d’ANEA, n’inclut pas un tel module dans sa propre formation qualifiante aux procédures VE. Mais le fait qu’IFOR2A soit “l’école” du principal syndicat représentatif de la profession d’expert ne suffit pas à faire de son cursus le mètre-étalon de toutes les formations d’expert qui existent. Pas plus que le cursus de BCA Académie. L’INSERR qui, chaque année, fait valider son programme de formation aux procédures VE par la DSCR et plus particulièrement la Mission de l’expertise automobile AVANT de le dispenser, n’a bien sûr pas cédé. Pas plus que la DSCR n’a donné une suite favorable aux réclamations de la CFEA.
«Question d'harmonisation»
Joint pour plus de précisions, Sylvain Girault, administrateur de la CFEA et vice-président en charge de la communication de l'ANEA, se souvient du courrier, envoyé au moment ou l'INSERR a vu son programme validé, comme d'une simple «mise en garde» à la DSCR «pour ne pas que chaque établissement puisse ajouter les petits compléments de son choix à sa formation». «Nous voulions affirmer notre volonté que la formation ne sorte pas du cadre que la profession d'expert essaie de fixer : il faut que les formations VE d'IFOR2A, de BCA Académie et de l'INSERR soient harmonisées et c'est, en général, loin d'être facile». Et celui-ci de souligner que «dans la communauté des experts, il y a eu des critiques concernant les disparités entre les différentes formations». Pourtant, le dernier commentaire que nous ayons eu en la matière relevait plutôt le bien-fondé d'avoir plusieurs sons de cloche émanant des différentes formations d'experts. Surtout des sons de cloche dépassant la longueur d'onde restreinte des compagnies d'assurance. «C'est plutôt moyen de constater que chacun peut mettre ce qu'il veut au programme de sa formation mais si le Ministère considère que chaque établissement peut faire ce qu'il veut, que pouvons-nous faire ? C'est dommage que des disparités naissent de cette façon.» Avec lucidité, Sylvain Girault admet tout de même le chemin parcouru par le recours direct depuis plusieurs mois, et le caractère presque inexorable qu'il revêt pour les compagnies d'assurance. «Le recours direct, on ne l'empêchera pas, il y a beaucoup de choses en route sur le terrain, reconnait-il. Et si le programme de l'INSERR n'a pas été modifié, c'est que le Ministère n'a rien à dire contre cela.»
La CFEA ou taire ce que la loi autorise
Comment, en effet, un dispositif entièrement légal comme le recours direct, reposant sur plusieurs articles de loi issus de plusieurs codes, dont le Code des assurances lui-même, pourrait-il être ainsi déclaré hérétique par les experts ? Il a même donné lieu à plusieurs jugements en faveur des victimes de sinistres non responsables –donc défavorables aux assureurs comme peuvent en témoigner la Macif, la Matmut, Pacifica, Covéa, la Maaf ou même Groupama– , dans la communauté des experts en automobile. Au contraire, celui-ci s’inscrit totalement dans la perspective d’une libération du métier d’expert, par trop inféodé, depuis plusieurs années, aux exigences pécuniaires des compagnies d’assurance et de leur sacro-sainte convention IRSA en matière de dommages matériels.Faut-il en déduire que les composantes de la CFEA sont réfractaires à la libération des experts en automobile de la prégnante (mais non officielle car interdite par l’article L. 326-6 du Code de la route) tutelle des assureurs ? Le courrier de son président tiendrait-il de l'acte manqué plutôt que d'une volontaire action de lobbying pour retirer à un groupement d’intérêt public, et reconnu comme tel, l’opportunité d’ouvrir les yeux aux professionnels qu’il forme sur une procédure qui a déjà fait ses preuves et permis à nombre d’automobilistes d’être indemnisés de leur sinistre non-responsable à hauteur du préjudice subi ?
Démarche anticoncurrentielle ?
Comme nous l’avions souligné en avril dernier, l’INSERR, depuis 2009, n’est plus seul à avoir la capacité de former les experts en automobile et IFOR2A comme BCA Académie ont plus que pris leurs parts de marché dans le domaine. A tel point que l’INSERR ne compterait plus qu’entre 10 et 15% des effectifs formés chaque année. Mais la formation n’étant pas qu’une affaire d’acquis professionnels et de maîtrise de la réglementation mais aussi une question d’argent, il est légitime de se demander si une telle action de la CFEA contre un organisme qui présente un programme différenciant n’a pas des airs de démarche anti-concurrentielle…Après tout, le recours direct ne fait que rappeler aux assureurs l’exigence de respect de leur propre code et la jurisprudence qui, décision de justice après décision de justice, se construit contre eux et va dans le sens des fondamentaux du métier d’expert : faire en sorte de remettre un véhicule endommagé dans l’état le plus conforme aux exigences de sécurité routière. Et contraindre les assureurs à respecter leurs obligations légales d'indemnisation.L’ANEA, elle, semble en tout cas en passe de se poser la question du bien-fondé du recours direct. Dans les résultats de son enquête de satisfaction préalable à son prochain séminaire, elle propose d’ores et déjà à ses membres de choisir les thèmes qui y seront abordés. Et parmi eux figure “le recours direct : un bien ou un mal pour notre profession ?” Certes, encore faut-il que les adhérents de l’ANEA aient envie de voir ledit thème exploré à haute voix sur la scène d’un de leurs séminaires. Mais si tel est le cas, difficile de dire si la base du syndicat choisira de prendre le train du recours direct au nez et à la barbe des donneurs d’ordres ou bien choisira, une fois pour toutes, de le laisser passer…Les défenseurs acharnés de l’indépendance totale de l’expertise, eux, sauront en tout cas reconnaître qui ont été les pionniers de la procédure et savoir ce que leur métier leur doit...
Romain Thirion
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