Réduire l’impact carbone sans réduire la marge (de manœuvre) des pros

Romain Thirion
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Journée technique SRA 2024 - Table Ronde n°3

Le 1er janvier 2025 marque la date à laquelle les assureurs devront justifier le bilan carbone 2024 de leur Scope 3, dont font partie les réparateurs. Et si l’ensemble du secteur de la réparation-collision se mobilise pour trouver le meilleur équilibre entre performance économique et performance environnementale, le réparateur, en bout de chaîne, est au centre des attentions.

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Pour les compagnies et mutuelles d’assurance, la nécessité de proposer des solutions durables en termes de services s’impose plus que jamais. Et en particulier dans la réparation des biens, automobile comprise. Car dès 2025, un bilan extra-financier des émissions de gaz à effet de serre (GES) de leurs trois scopes s’imposera à eux, en plus de leur habituel bilan financier. Or, le scope 3, auquel appartiennent les carrossiers, pèse 95 % du bilan carbone des assureurs. Ce reporting à venir est la conséquence de la Directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises, ou directive 2022/2464 CSRD de l’Union Européenne, couramment abrégée en directive CSRD. Être moins émetteur de CO2 et intégrer pleinement les fondamentaux de la responsabilité sociétale et environnementale (RSE) est désormais attendu de l’ensemble des parties-prenantes.

Attentes nombreuses, résultats attendus

En effet, selon France Assureurs, qui réunit 99 % des acteurs de l’assurance en France, la durabilité augmente la confiance des clients et leur considération de la marque s’en trouve multipliée par sept ! La durabilité est même une priorité d’une majorité de demandeurs d’emploi parmi les employés Générations Y et Z, nés entre 1980 et 2005. Quant aux grandes entreprises, elles utilisent désormais des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) comme un filtre pour choisir leurs fournisseurs en fonction de leurs performances financières, ce qui interpelle forcément les assureurs. Même chose pour les investisseurs : 120 000 Mds $ d’actifs sous gestion ont été investis selon les critères ESG des principes d’investissements responsables établis par les Nations Unies.

La transition écologique, dans le même temps, impacte directement le secteur de l’assurance. L’augmentation de la fréquence et de la violence des événements climatiques fait croître la sinistralité et sa complexité. Ce qui pousse les assureurs à modéliser le risque d’investissement sans historique clair. La lutte contre la pollution et les objectifs de baisse des GES les obligent également à assurer une économie de plus en plus circulaire. Deux défis fortement reliés au périmètre de la réparation-collision, au milieu d’autres challenges importants mais plus généraux auxquels il faut absolument répondre, au risque pour l’assureur et ses marques de perdre en réputation.

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François Garreau, président de la Commission développement durable de France Assureurs

Faire sauter les "plafonds de verre"

Un écueil à éviter à tout prix malgré les tentations. « J’entends même parler d’inassurabilité désormais, ce qui est la négation même de notre métier ! Nous allons trouver des solutions à ces défis mais cela ne pourra se faire au même prix et il y aura des hausses à prévoir », affirme François Garreau, président de la Commission développement durable de France Assureurs. Parmi ces solutions, côté réparation auto, figure la pièce issue de l’économie circulaire (PIEC), confrontée à un "plafond de verre" sur le marché français, selon les différents acteurs de l’écosystème convoqués par Sécurité & Réparation Automobile (SRA) lors de sa journée technique annuelle, le 11 octobre dernier.

Contrairement à certains pays voisins, le taux de PRE français – 16,8 % des dossiers d’expertise en contenaient au moins une au premier semestre 2024 selon SRA – est limité par la décision finale du propriétaire du véhicule. Car la loi LOM lui laisse la possibilité de refuser le devis à base de PRE proposé par son réparateur. « Il faut mettre toutes les parties prenantes autour de la table pour faire sauter ce plafond de verre. Reste aussi la question de la répartition de la valeur entre les différents acteurs car pour l’instant, l’assureur absorbe l’essentiel de la marge », reconnaît François Garreau. Autre plafond de verre identifié par celui-ci : l’impossibilité pour les acteurs de l’assurance de s’entendre autour de solutions communes pour faire baisser le coût de réparation tout en faisant croître la valeur. « Parce que l’entente est interdite par le droit de la concurrence européen, alors que dans le cas du développement durable, nous devons pouvoir nous mettre d’accord sur des engagements communs », plaide-t-il.

Ménager le réparateur

« La question des outils de mesure ne doit pas être une question de compétition entre les différents acteurs de l’assurance. Nous avons des tiers de confiance tels que SRA ou Darva sur lesquels nous appuyer et nous baser tous sur les mêmes données : la compétition se fera sur les process, les partenaires et les produits », reconnaît David Thévenot, responsable du pôle réseaux auto de Covéa, qui s’est récemment fendu d’un livre blanc de la réparation durable pour proposer des solutions en la matière. Mais ladite mesure ne doit pas alourdir le processus de réparation selon le dirigeant : « il ne faut pas que ces considérations viennent complexifier la prise de décision du réparateur. La mesure doit se faire en aval de la réparation plutôt qu’en amont, sinon cela ajoute du stress au réparateur, qui n’en a pas besoin et risque de remettre en question son adhésion au réseau », insiste David Thévenot.

Certes, les études menées dans le cadre d’un autre livre blanc, réalisé par Pacifica avec BCA et Europ Assistance, montrent que le véhicule de remplacement est la ligne qui pèse le plus lourd en émissions de CO2 dans le sinistre sinistre. Mais à elles deux, la remise en état du véhicule hors peinture et la mise en œuvre de la remise en peinture représentent plus de 50 % du bilan carbone d’un sinistre. D’où la concentration des assureurs sur le carrossier et sur la répétition du mantra "réparer plutôt que remplacer". Et de cet autre leitmotiv : lorsqu’il faut remplacer, avoir le réflexe de la PIEC et expliquer sans relâche la démarche au client. « Le carrossier doit penser en termes de marge et non plus en termes de chiffre d’affaires », selon David Thévenot, pour qui le programme Réparation Durable de Covéa doit permettre au réparateur de retrouver ses petits.

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Table ronde n°1 journée technique SRA 2024

Savoir faire bouger le curseur

Le programme de Covéa insiste d’abord sur le nombre d’heures alloué à la réparation, qui permet au réparateur de vendre plus de main d’œuvre. « Dans le cadre des chantiers remarquables, il faut pousser les carrossiers à argumenter sur l’aspect technico-économique avec l’expert lors du débat contradictoire afin de faire valoir la réparation », soutient David Thévenot. Il insiste également sur la formation, notamment via sa filiale CESVI France, qui propose des modules dédiés à la réparation durable. Troisième pilier du programme : l’innovation, avec notamment des solutions inédites telles que l’impression 3D. « Aujourd’hui des sociétés spécialisées (NdlR : comme Gryp 3D) sont capables d’aboutir à des kits de réparation plus complets que le constructeur lui-même, qui ne "pense" pas toujours à tout », ajoute ironiquement le responsable du pôle réseaux du groupe mutualiste. Quatrième et dernier pilier : le fameux contradictoire, « qui n’est autre que la capacité des deux parties à accepter l’erreur et à valoriser le temps passé à argumenter avec l’expert », affirme David Thévenot.

« Le contradictoire aide aussi les parties prenantes à trouver des solutions qui permettent une meilleure marge, ce qu’ont pu démontrer les formations croisées entre experts et réparateurs au CESVI », reconnaît Benoît Dehove, responsable de l’environnement professionnel chez BCA Expertise. Néanmoins, réparer et remplacer ne sont pas toujours antinomiques dans la quête d’une performance environnementale, côté carrossiers. Tout dépend de comment le pro remplace. « Augmenter la part de PRE ne diminue pas forcément la part de réparation de nos meilleurs réparateurs, qui atteignent pour certains des taux de 25 % de PRE », reconnaît Christophe Apolant, responsable achats & gestion de la performance fournisseurs de Groupama. « Mais pour avoir des outils de mesure et d’arbitrage robustes, il faut qu’ils fassent leurs preuves et restent proches des sachants, en l’occurrence les experts. Car l’on observe parfois jusqu’à 50 % d’écart en termes de bilan carbone pour un même coût de remise en état. Le coefficient de corrélation n’est que de 0,57 entre coût de la réparation et empreinte carbone, signe que les deux sont encore mal corrélés », relève Francisco Cruz, dirigeant de sociétés d’expertise au sein du Groupe Lang & Associés.

Relâcher certaines pressions

« Nous pourrions intégrer à nos systèmes que, dans certains cas particuliers, le remplacement est plus intéressant que la réparation. La question étant néanmoins de savoir à quel point l’impact carbone doit primer », pose de son côté François Mondello, président du groupe Alliance Experts et président de la FFEA. « L’on a tendance à sous-estimer le niveau de préparation à l’effort des carrossiers sur la maîtrise des émissions de GES, mais l’on sous-estime aussi leurs contraintes, et notamment l’aspect rentabilité des différentes méthodes de réparation », rappelle Catherine Morhet, responsable administrative et financière du Garage Morhet de Saint-Michel-sur-Orge (91), adhérent Acoat Selected et lauréat du Ze Award du Carrossier Réseau 2024. Celle-ci regrette que la PIEC génère encore des réticences quant aux arbitrages économiques et logistiques que doivent faire les réparateurs.

Afin de mettre en exergue certains desdits arbitrages, le Garage Morhet a procédé à des calculs sur une porte de Renault Twingo 3, en opposant remplacement à neuf, réparation et remplacement par une PRE. Si la réparation pure et simple coûte à la fois moins cher et offre une meilleure marge au réparateur, c’est bien le changement de la pièce par une neuve d’origine qui garantit le temps d’immobilisation du véhicule le plus court. Tandis que la PIEC, deuxième meilleure option en termes de coût et de marge réparateur, oblige à plus que doubler le temps d’immobilisation. « Si l’on veut une réparation toujours plus vertueuse sur le plan de la durabilité, il faut faire accepter qu’un dossier puisse nécessiter plus de temps », souligne Catherine Morhet. Façon de renvoyer la balle aux assureurs quant à leurs promesses de rapidité auprès des assurés.

Rapporté, cette fois, au nombre d’ordres de réparation (OR) mensuel par productif, sur la base de cette même porte de Twingo, le remplacement à neuf s’impose, et de loin, avec 5,3 OR/mois, contre 4,2 pour la réparation et 3 pour la PIEC. Signe que la garantie d’une réparation durable à tous les coups devra forcément s’appuyer sur un ensemble de mesures bien plus précises qu’aujourd’hui pour préserver le plus possible la marge du carrossier en bout de chaîne. Car c’est bel et bien lui qui reste au contact du client final et qui garantit que le service promis par l’assureur soit fidèle aux promesses.

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Etude coût marge immo réparation de porte de Twingo 3 Garage Morhet
Romain Thirion
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