Pièces captives (suite) : Bruxelles enquête sur les révélations de Mediapart
L’enquête de nos confrères de Mediapart et de leurs partenaires du réseau European Investigative Collaborations (EIC) vient d’atteindre un échelon supérieur. Après une première investigation de la part de l’Autorité de la concurrence en France, finalement classée sans suite, c’est au tour de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne de prendre les choses en mains dans un dossier ou apporter la preuve d’une quelconque culpabilité au sens juridique du terme risque de s’avérer bien complexe…
Rappelons tout de même que dans son enquête originale, que nous avons relayé puis analysé pour vous dans nos différents articles sur le sujet, Mediapart soupçonnait pas moins de cinq constructeurs mondiaux majeurs (Renault, Nissan, PSA, Jaguar-Land Rover et Chrysler) d’avoir eu recours aux conseils avisés d’Accenture pour utiliser au mieux les capacités d’optimisation de tarification permises par son logiciel APO, ex-Partsneo.
Toujours plus de constructeurs suspectés
Ceci, afin de tirer le maximum de profit d’un marché de la pièce de carrosserie qui, dans certains pays dont la France, leur est tout acquis par voie de monopole au titre de la propriété intellectuelle des dessins et modèles. A la clé : une dizaine d’années de prix tirés vers le haut et des milliards d’euros générés.
Bruxelles est donc entrée dans la mêlée à son tour, alors que d’autres constructeurs tels que Volkswagen ou Ford sont désormais suspectés, qui d’avoir pris part à des réunions avec des concurrents et confrères usagers d’APO, qui d’avoir utilisé des méthodes similaires pour surfer sur la vague haussière des prix des pièces concernées (de 9 à 25% tout de même) sans avoir acheté le logiciel in fine.
Tout reste à prouver
Que la Commission européenne va-t-elle bien pouvoir dénicher dans ce véritable sac de nœuds ? Peut-être la preuve desdites réunions entre constructeurs, ayant eu pour objet officieux la discussion des tarifs pratiqués sur le marché de la pièce détachée ? Ce que, pour l’instant, l’enquête journalistique n’a pas été en mesure de confirmer…
Ou peut-être la preuve de l’activisme extrême d’Accenture dans la commercialisation de son logiciel, celui-là même qu’il a racheté et aurait détourné de son objet premier – ce qui lui a valu poursuites judiciaires par son créateur, Laurent Boutboul – pour en faire une machine à coordonner les hausses de prix des pièces ?
Mais comment caractériser l’intention de générer une entente tarifaire de la part d’un acteur comme Accenture quand celui-ci peut légitimement, pour vendre sa solution, invoquer le succès de ses clients ? A moins qu’à leur tour, des preuves ne tombent quant à la réalité chiffrée et nommée des performances dévoilées par Accenture, à même d’entraîner volontairement tout un secteur dans une course au prix fort, au détriment de la libre concurrence…
Outil anti-concurrentiel ou simplement marketing ?
Alors que la Commission européenne a déclenché son enquête, Mediapart a de nouveau sollicité les constructeurs concernés par le démarchage d’Accenture et dont les noms sont ressortis au travers des révélations du réseau EIC.
Ceux-ci, qui prennent manifestement l’affaire au sérieux, bien entendu, ont de nouveau réfuté tout rôle volontaire et commun dans les bénéfices générés par la hausse du prix des pièces captives. Plusieurs d’entre eux réaffirment leur attachement aux principes de libre concurrence (Renault, PSA), d’autres réfutent catégoriquement avoir communiqué leur prix à leurs homologues (Ford). Ou confirment simplement l’adaptation des prix de leurs pièces aux différents marchés et aux prix publics qui y sont pratiqués (Volkswagen).
Et hors de toute preuve d’une volonté manifeste de faire gonfler le marché de la part d’Accenture, même les constructeurs ayant effectivement fait usage de la solution APO peuvent arguer qu’ils n’ont fait qu’utiliser là un simple outil marketing de pricing, comme chaque acteur du marché peut le faire de son côté, sans être initiés au préalable aux tarifs pratiqués par la concurrence. La preuve de l’illégalité de leur démarche reste encore à produire et seuls des soupçons subsistent, en tout état de cause.
Entente illégale, peut-être… Faute éthique, sûrement.
En revanche, c’est sur le plan de l’éthique commerciale que les constructeurs concernés sont plus que suspects. Car sur les marchés où la pièce détachée est effectivement captive du monopole des constructeurs, tirer d’un avantage structurel des bénéfices conjoncturels déstabilisant encore plus le marché à leur profit est loin de ressembler au respect de la libre concurrence vanté par les constructeurs en question.
Car la primauté sur le commerce des pièces protégées au titre des dessins et modèles leur donne, certes, un avantage, mais les acteurs de la rechange indépendante qui se fournissent auprès d’eux n’ont pas forcément à le payer si cher…