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Relation constructeurs/ distributeurs : le réseau plie toujours mais ne rompt jamais

Muriel Blancheton
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Une relation schizophrénique perdure entre constructeurs et distributeurs depuis que les contrats de distribution existent. Un “je t’aime, moi non plus” régulièrement ravivé au fil de décisions contractuelles toujours initiées par les constructeurs. Dernier exemple : le 8 février dernier, Stellantis a dénoncé le contrat de distribution Distrigo qui le lie à ses distributeurs de pièces de rechange (origine, Eurorepar et équipementières)…

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Stellantis l’assure : il ne s’agit là que d’une rupture technique juridiquement nécessaire pour pouvoir ajouter dès 2023 les pièces Fiat-Chrysler dans les racks Distrigo, après la fusion de Stellantis opérée en 2021. Il veut ainsi pouvoir renforcer un maillage de 140 plaques européennes dont les 38 françaises sont annoncées sanctuarisées, car suffisantes en nombre et en taille pour intégrer les pièces Fiat, souligne le constructeur.

Construire son schéma européen

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Propulsé en 2015, le réseau des plaques PR Distrigo est certes dense en France, mais encore jeune et digne de croissance sur le reste du marché européen. La volonté de se renforcer plus encore à l’échelle européenne est logique. Hors France, Stellantis ambitionne évidemment des parts de marché encore loin de celles de son marché domestique qui atteint 30%, toutes marques du groupe confondues, en cumulant les parts des concessionnaires.

C’est précisément pour pouvoir plus facilement recruter des plaques Distrigo sur ces autres marchés moins “maîtrisés” que le constructeur a annoncé vouloir abaisser les standards du nouveau contrat PR. Logique là encore. Mais de ces assouplissements dans les critères d’entrée, les distributeurs font une lecture anxiogène, eux qui sont culturellement habitués à voir en VN les standards se durcir toujours plus. Stellantis ne chercherait-il pas à déconstruire méthodiquement - pour ne pas dire rageusement - une relation contractuelle toujours sous tension et « à grands renforts de décisions unilatérales ? », lâche l’un d’entre eux qui rappelle que le constructeur « nous avait affirmé que la distribution PR ne serait pas concernée par une résiliation »…

Sans sommation préalable

Et les distributeurs extrapolent : si cette stratégie veut faciliter l’accès Distrigo, comment le constructeur pourrait-il dès lors refuser le sésame à des investisseurs hors réseaux VN classiques, voire à des enseignes indépendantes possédant toutes les capacités financières requises et les standards ad hoc ?

Cette suspicion des 38 plaques françaises vient aussi d’une vieille tradition de verticalité dans les relations contractuelles entre concédants et concédés (voir ci-dessous l'encadré « Un désamour général des réseaux »). Et comme si souvent dans l’histoire de la distribution VN dont ils sont tous issus, les investisseurs PR de Distrigo n’ont guère apprécié la forme brutalement unilatérale de cette résiliation : à savoir une rupture avec préavis de deux ans sans sommation préalable. Stupeur et étranglement garantis, surtout un an à peine après la rupture de leur(s) contrat(s) de distribution VN (lire « concessionnaires résiliés mais pas résignés »), même si celle-ci découlait inévitablement du nouveau règlement. Avec en point d’orgue la confirmation qu’ils coutaient décidément trop cher (lire plus bas « Concessionnaires trop chers »)...

Crainte du « détail »

Et quand la forme choque, le fond est vite mis en doute. Même les avocats spécialisés en matière de distribution automobile s'interrogent sur la nécessité d'une résiliation, quand un simple avenant aurait suffit... D'autant que les trois quarts des plaques PR françaises sont des émanations d’opérateurs privés qui ont accepté d’investir à l’époque des millions d’euros pour ne pas voir s’échapper le business de la pièce sans autre visibilité que la stratégie disruptive de Stellantis.

Le constructeur a voulu calmer le jeu en promettant, pour le deuxième trimestre 2022, une nouvelle mouture sans dommages collatéraux. Il a même joint à la lettre de résiliation une promesse d’engagement. Mais visiblement, sans réussir vraiment à éteindre l’impression des concessionnaires de redescendre aux enfers.

D’expérience, ils savent bien que le diable se nichera toujours dans les détails d’un nouveau contrat bien ficelé. « Ils peuvent corriger les schémas d’animation commerciale qui ne leur conviennent pas ou les ventes externes ? Nous ne sommes que des vendeurs de pièces via Distrigo, pas des acheteurs : le constructeur impose ses prix de vente et de revente », rappelle un opérateur qui enrage de devoir repostuler de fait pour juste rester Distrigo.

Le précédent « Hory »

Certes, on peut difficilement imaginer qu’un investisseur, déjà détenteur d’une plaque, soit refoulé à l’entrée. Mais il peut aussi redouter, à l’instar de la distribution VN, que le constructeur en profite pour favoriser les plaques les plus “bankables” ou les plus “Stellantis Friendly” et ce, au détriment de celles qui prendraient un peu trop les chemins de traverse. Impossible à cette étape de ne pas penser au précédent du groupe Hory (lire ici). « Mais même un concessionnaire dont les résultats sont bons ne peut pas être sorti ainsi. Son exclusion devra être justifiée, se rassure cet autre acteur ; si nécessaire, il est certain que nous allons nous engager dans toutes les failles juridiques possibles. Il y a aura des recours. »

Stellantis a déjà montré sa volonté de simplification avec ses Relais (42 actuellement), accessibles à tout réseau secondaire via des standards allégés (fonds de roulement, mètres carrés…). Pourquoi ne pas aller plus loin ? « Si cette étape est actée pour les pièces, on peut aussi se demander s’il n’en sera pas de même pour le SAV avec un contrat validé pour la réparation de certaines marques du groupe ! Une forme de labellisation pour les indépendants de la rechange », note un concessionnaire. Le multimarquisme fonctionne ainsi dans les deux sens...

Mauvais souvenir, crainte d’avenir

On le voit, ces résiliations PR mettent de nouveau la pression sur les réseaux Stellantis qui, bientôt sept ans après le "Big Bang Distrigo", pensaient être épargnés sur la pièce. Un "Big Bang" qui avait coupé les vivres à 210 distributeurs Peugeot et Citroën à l’époque pour concentrer les flux sur 40 plaques, sans générer aucun conflit juridique. « C’est même passé comme une lettre à la poste. C’est ce qui donne au constructeur cette confiance absolue », constate un autre concessionnaire.

C’est ce que craignent à présent ces mêmes distributeurs insuffisamment rassurés : se retrouver coincés avec des plaques dont la valeur de fonds de commerce est réduite à peau de chagrin, rien que par cette résiliation. « Si le contrat à venir ne me convient pas, je me retrouverai avec une plateforme impossible à revendre : trop grosse, trop chère… Aucun indépendant ne se positionnera pour la racheter, et aucun groupe de distribution détenteur d’une première plaque n’en voudra une seconde ! », soupire un investisseur conscient que le tissu logistique de la pièce en France est déjà très dense…

Désamour général des réseaux

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Ce nouvel épisode contractuel des distributeurs Distrigo traduit-il une inertie statique chez les concessionnaires, quels qu’ils soient, face à leur(s) constructeur(s) ? La longue tradition des résiliations réglementaires, dont les plus scabreuses font des remous médiatiques, les rend inévitablement paranoïaques. Comme le malheureux et retentissant épisode du procès Chevrolet (lire Chevrolet devra payer ). Mais de fait, globalement, les concessionnaires sont d’expérience résignés. La relation, aussi ambiguë et cabossée soit-elle, résiste contre vents et marées ! « Il ne se passe jamais rien ! Même lorsqu’une marque sort un distributeur qui n’a pas l’heur de lui plaire pour de multiples raisons, et s’arrange pour en placer un autre qui rentre mieux dans son moule », soupire ce concessionnaire, pourtant historiquement présent au sein d’une marque japonaise.

Un regard sur la 26e Cote d’Amour des Constructeurs de Mobilians suffit pour comprendre l’état d’esprit général des réseaux constructeurs aux business models de plus en plus incertains. Sur les 364 responsables de concessions interrogés, seuls 51% se déclarent rester (très) confiants dans leur relation avec leur marque, soit tout juste la moyenne quand 25% s’avouent en revanche très peu confiants ! La moyenne générale décroche encore en 2021 pour se stabiliser à 5,18/10! Peut décidément mieux faire, surtout en pièces : en la matière, tout le monde en prend pour son grade avec des taux de satisfaction ne dépassant pas 52% (disponibilité et délai de livraison). C’est ensuite la dégringolade avec seulement 49% de satisfaits sur le développement d’une nouvelle gamme PR (-5 pts), 44% de satisfaits sur le positionnement prix des pièces (-10 pts), et 38% sur la politique de rémunération…(lire « Côte d’Amour 2021 : Les concessionnaires tirent à boulets rouges »).

Las, les vagues électriques et digitales n’arrangent pas la situation. Le fantasme du constructeur de vendre ses VN en ligne - et en direct - existe depuis longtemps. Une tentation maligne croissante car de plus en plus facile technologiquement, et accentuée avec les confinements.

« Une façon de dérouter les marges, de court-circuiter les réseaux, sauf qu’ils n’arrivent que marginalement à vendre des voitures en ligne, en ignorant d’ailleurs totalement la RGPD dans leur volonté de confisquer toutes les données personnelles de nos clients ! », s’insurge un concessionnaire. Car le nerf de la guerre demeure l’indéboulonnable proximité et l’accompagnement. « Ce qu’ils n’ont pas », assène cet autre distributeur.

Reste que, globalement, les concessionnaires de tous bords estiment n’avoir pas d’arsenal juridique suffisant pour se défendre. Pour eux, l’Europe laisse se propager « des contrats trop déséquilibrés ». Ils espéraient tous que les nouveaux contrats de distribution VN remettraient un peu la balle au centre. « Or, il semble que le règlement d’exemption laisse tous pouvoirs aux constructeurs. Sauf qu’à un moment donné, si nous n’avons plus de moyens, nous arrêterons le service et l’accompagnement, que nous sommes les seuls à pouvoir faire. »

Concessionnaires trop chers ?

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Mais quelle est la marge réelle de distribution d’une concession ? Une fois passées dans le tamis les remises, marges brutes et autres dépenses obligatoires, le fameux cliché des 30 %, distillé par les constructeurs, a pris du plomb dans l’aile.

L’été dernier, la branche dédiée de Mobilians (ex-CNPA) a mandaté le cabinet TCG Conseil. Objectif : passer au peigne fin la structure des coûts de distribution pour un concessionnaire*, et balayer ce que Marc Bruschet, le président des concessionnaires VP de la fédération, nommait « une attaque médiatique biaisée avec des coûts de distribution aléatoire de 30 % à 10 % sans raison ! » (référence à Stellantis qui a ainsi justifié l’élagage de ses concessionnaires et la fin des cathédrales avec la résiliation des contrats VN). Les coûts prennent ainsi en compte la somme de la marge brute - différence entre le CA net et les coûts d’acquisition des VN et les frais de préparation réglés par les distributeurs au constructeur - ajoutée aux primes, bonus et aides commerciales diverses. Or, s’ils ont bien augmenté pour atteindre 25,7 % - moyenne toutes marques - contre 23,8 % en 2011, la marge finale de distribution du concessionnaire s’est réduite pour atteindre 7,2 % contre 8 % il y a 10 ans.

*15 marques soit 75 % du marché VN (hors succursales), sur une période de 2011 à 2019.

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Les raisons de ce grignotage ? Des prix de vente catalogue moyens en hausse de 16 % (achat des VN aux constructeurs), une marge brute diminuée, atteignant 10,5 % en 2011 à 9 % en 2019, et des remises clients systématiques atteignant 18,5 % du prix de vente. « Nous n’entrons pas en guerre contre le constructeur. Mais qu’il comprenne : nous ne sommes pas un coût ! Nous sommes rémunérés pour un service (la vente des véhicules au constructeur) et pour l’État (gestion et avance des aides type bonus). Le partage de la valeur ajoutée reste à inventer avec lui pour que chacun trouve son compte. Nous sommes dans le même bateau, notamment réglementaire avec Bruxelles et le nouveau réglement », souligne le président de la branche.

Reste à savoir si cette étude de marché peut servir de juge de paix dans une distribution en pleine transition énergétique et digitale avec des marques enclines à vendre en direct leurs VN – comme Tesla – et transformer le distributeur en agent commercial. « Pourquoi pas, à condition que le constructeur prenne en charge le risque lié au stock et au financement. »

Muriel Blancheton
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