PHE/D'Ieteren : pas d'emplette sans cas(s)er le vitrage

Jean-Marc Pierret
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Enseignes Vitrage PHE

Sans surprise, la Commission européenne vient de donner son feu vert à la revente par Bain Capital de PHE à D'Ieteren Group. A l'exclusion toutefois de son activité vitrage, le repreneur belge de Parts Holding Europe détenant déjà l'ultra-dominant Carglass. À qui pourraient donc être revendues les enseignes Mondial Pare-Brise et Glass Auto Service dont PHE doit se délester ?

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On s’y attendait depuis l'annonce de la revente de PHE à D'Ieteren (voir « PHE vendu à D’Ieteren Group, ou le retour aux valeurs familiales »). L’info officielle est finalement tombée en plein cœur de l’été. Mais si la Commission européenne a évidemment autorisé le 2 août dernier D’Ieteren Group à s’offrir l’ensemble PHE, c’est à une exception près : celle du vitrage. Dans son communiqué autorisant l’opération (voir document ci-dessous), la Commission européenne souligne qu’en France, « Carglass effectue déjà trois fois plus de réparations de vitrages de véhicules que son concurrent le plus proche », à savoir A+Glass.

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L'impossible concentration du vitrage

Avec l’activité vitrage de PHE, l’opération risquait ainsi d’offrir en France une position ultradominante au déjà incontournable Carglass. Aux plus de 450 centres revendiqués par la marque détenue par D’Ieteren, Mondial Pare-Brise, le N°3 du marché, apportait peu ou prou le même nombre d’implantations auxquels se seraient ajoutés les 350 centres de Glass Auto Service.

Soit un potentiel de quelque 1250 centres pour un ensemble qui pèserait dès lors au moins les 2/3 du marché français. Sur certains marchés du nord de l’Europe, le boss du vitrage dépasse certes souvent et largement les 50 % de parts de marché. Mais c’est une chose de le constater, une autre de l’autoriser à l’occasion d’une acquisition…

Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence, ne pouvait donc pas passer à côté des risques du dossier. Dans le communiqué de la Commission, elle a ainsi souligné que « plus de 90 % des automobilistes français souscrivent une assurance “bris de glace”, et plus de 3 millions de pare-brise sont réparés chaque année. L'absence de concurrence sur ce marché pourrait donc entraîner une hausse des primes d'assurance pour tous les consommateurs. D'Ieteren et PHE sont, l'une comme l'autre, les principaux prestataires de services de réparation et de remplacement de vitrages de véhicules en France. »

Pas de position dominante côté pièces et réparation

Cette cession conditionnelle obtenue, elle s’est donc félicitée que, « grâce aux cessions autorisées aujourd'hui, les parties pourront regrouper leurs activités dans les secteurs de la réparation automobile et des pièces détachées, sans que l'opération n'ait une incidence néfaste sur les automobilistes français. » Sans surprise, cet autre aspect de la concentration n’a sûrement pas demandé une longue enquête aux experts européens antitrust : le seul marché de réparation (hors carrosserie et vitrage) représente en France plus de 25 milliards d’euros hors taxe ; quant au marché européen, il pèse plus de 200 milliards d'euros (prix public cette fois). L’ensemble D’Ieteren + PHE demeure un petit Poucet de la distribution et de la réparation…

Que ceux qui craignent – ou espèrent – que l'activité de vitrage de la filiale Cora pourrait souffrir du désarrimage de Mondial et Glass Auto Service se détendent. Les enseignes s'alimentent directement dans les stocks régionaux des équipementiers (Saint-Gobain, Carlite, Pilkington et autre VSF). Et c'est logique. Si PHE avait voulu ajouter l'intermédiation de Cora à ses enseignes de vitrage, c'aurait été au détriment de leurs marges comme de leurs offres respectives...

À qui revendre les deux enseignes de vitrage ?

Ce sont les assureurs qui doivent respirer, eux qui ont déjà du mal à accepter la stratégie d’un Carglass qui impose depuis longtemps ses prix et ses conditions, fort de sa discipline exclusivement succursaliste et d’une pression publicitaire et digitale inégalable par ses concurrents.

Reste maintenant à savoir qui va bien vouloir s’offrir Mondial Pare-Brise et Glass Auto Service. Sur le papier, cela ne semble a priori pas difficile. Pour deux raisons que la Commission souligne elle-même : « Le marché [du vitrage] se caractérise par des barrières à l'entrée élevées, en raison du temps et des dépenses nécessaires pour développer un réseau à l'échelle nationale », précise-t-elle. Racheter pourrait donc être plus simple que de développer ?

Et puisque Carglass et ses quelque 40 % de parts du marché indépendant en France (hors constructeurs) réalisent, aux dires de la même Commission, trois fois plus de réparations vitrage que le deuxième du marché hexagonal, cela signifie en creux que le N°2 (A+Glass et quelque 25 % de parts de marché) ou le N°4 du marché (France Pare-Brise avec ± 20 %) pourrait chacun gober au moins l’une des deux enseignes de PHE sans risquer la position dominante.

S'offrir pour souffrir ?

Soit. Mais en ont-ils les moyens ? À lui seul, Mondial Pare-Brise affiche un CA de plus de 110 M€. Au moins France Pare-Brise pourrait-il s’appuyer sur la puissance financière de son actionnaire Saint-Gobain pour s’offrir cette marque fraichement rénovée et solidement dynamisée depuis plusieurs années. Mais “l’industriel vitrier” se promène déjà en France autour des 40 % de parts de marché. Ajouter une enseigne et a fortiori deux pourrait alors attirer une nouvelle réprobation des autorités concurrentielles.

Mais les concurrents de Mondial et Glass Auto Service en auraient-ils seulement envie ? Le potentiel complémentaire des enseignes de PHE vaut-il l’inévitable prix d’une sanglante et coûteuse boucherie de points de vente qu’imposeraient la superposition et la restructuration des réseaux ?

Sans oublier qu'il faudrait parallèlement affronter lesdits assureurs. Ces derniers n'auront guère envie d'adouber sans résistance l'émergence d'une seconde "super-puissance" du vitrage, eux qui n'apprécient toujours pas les diktats tarifaires de Carglass...

Alors, qui d'autres ? Comme d'habitude, nous vous tiendrons au courant...

D'Ieteren Group fera-t-il école ?

Si la concentration actuelle des réseaux de vitrage n'est pas si simple, faut-il dès lors s’attendre à voir d’autre repreneurs sortir du bois ? Pourquoi pas cet Alliance Automotive Group qui, en même temps qu’il dévoilait récemment sa nouvelle logistique nationale, confessait des appétits encore insatisfaits en termes de vitrage (voir « AAG : la plateforme nationale First prévue pour mi-2023 »).

Mais pourquoi pas non plus l'un de ces puissants groupes de distribution VN qui se cherchent de nouveaux espaces de profit à l'heure où le futur à la fois légal et digital du commerce VN/VO est semé d'inconnues ? L'exemple ô combien profitable de D'Ieteren + Carglass peut donner des idées et susciter de potentielles vocations. Dans un précédent article, nous rappelions qu'en 2020, Carglass avait fait 75 % du résultat avant impôts du groupe belge...

Jean-Marc Pierret
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