Contrat d’agent : liberticide et inflationniste ?
Il fait enrager les distributeurs réduits au métier d’auxiliaire de services, mais il est également décortiqué depuis des années par les hommes de loi qui en extraient plus d’inconvénients que d’avantages pour le distributeur. Le contrat d’agent dessiné par les constructeurs pour les concessionnaires fait couler beaucoup d’encre.
Cadencée par les renouvellements de contrats de distribution nouvelle formule ou celui d’agent commissionné, la mutation des relations constructeurs/distributeurs est la conséquence de la digitalisation massive de la société en général et des comportements d’achat en particulier. Car le constructeur a décelé les alléchantes opportunités d’une distribution directe : allégement des coûts induits par un réseau traditionnel coûteux selon lui, fixation libre des prix et connexion à vie avec le client final. Les avocats missionnés sur ce dossier alertent depuis longtemps sur un chapelet de risques qu’encourent les nouveaux agents ! Cela démarre par le détournement de leurs métiers principaux et leur mutation forcée en simple sous-traitant exécutant, et se termine par la captation de leurs marges à tous les étages du cycle de vie du véhicule, propriété du constructeur. Patrice Mihailov, spécialisé en distribution auto, insiste sur cette détention non provisoire d’un client et d’un véhicule dans l’écosystème d’une marque, avec un risque inflationniste sur les prix. « Le véhicule sera en effet loué au moins trois fois dans sa vie avec des packs exclusifs et des tarifs différents mais imposés, proposés par les agents mais vendus par les captives du constructeur. Le tout sans jamais sortir de la propriété de ce dernier, jusqu’à son recyclage organisé* », lance-t-il lors d’un webinaire organisé par le MAP (Observatoire des experts de la Mobilité), où les constructeurs invités n’ont pas répondu présents d’ailleurs.
*Les recycleurs ont déposé un recours en janvier pour casser un arrêté qui permettrait aux constructeurs d’internaliser le recyclage des VHU et donc le business complet de la PRE
Confiscation de la liberté de concurrence et de diversification…
L’avocat égrène les points noirs : les standards de représentation imposés mobilisent la totalité des structures et empêchent l’agent d’exercer une activité concurrente. Les contrats d’entretien souscrits en ligne par le client sur le site de la marque obligent l’agent de commercialiser « prioritairement » le service après-vente du constructeur. Et dans le cadre de ces contrats ou d’opérations de garantie, l’ex-concessionnaire n’a également plus d’autre alternative que d’acheter ses pièces à la centrale d’achats et/ou de référencements multimarque du constructeur, et non plus chez l’équipementier.
… et de la donnée
Le VO n’est même plus un bastion protecteur puisque la marque en reste propriétaire. Celle-ci peut ainsi demander à son agent d’assurer le reconditionnement et la location du véhicule d’occasion dans un contrat de service (financement ou LLD) qui lui appartient. « Le nouveau contrat peut réserver au constructeur la possibilité d'acquérir lui-même le véhicule repris au client acheteur d'un VN. Le véhicule repris peut être revendu à l'agent. Mais l'opération s'intègre dans un environnement commercial contrôlé par le constructeur. » Et que dire sur la data « confisquée » dans les nouveaux contrats puisqu’intégrée directement à une base de données du constructeur, juridiquement protégée… mais contrevenant « totalement » aux règles de la concurrence, à celles définies par le RGPD3 et par le dernier Data Act (règlement sur les données publié fin décembre) ! Face aux règlements dictés par Bruxelles, les constructeurs vont quand même devoir prouver l’efficacité du modèle basé sur la vente digitale, avec la justification d’autant de restrictions pour leurs distributeurs. Ce qui est loin d’être gagné à en croire les tests sur le terrain (voir encadré). Rêver d’une marge à deux chiffres « ne peut pas être confondue avec des gains d'efficience légitimant les pratiques anticoncurrentielles qui accompagnent le changement de modèle… Tout est question d’équilibres et il faudra bien en trouver », tente d’apaiser Patrice Mihailov. Reste qu’in fine, le véhicule n’est plus qu’un « média pour vendre une multitude de services associés à un client (assurance, assistance, achats via l’infotainment…). Et le distributeur n’est qu’un vendeur de contrat (financement, entretien, location). »
Constructeurs à pas de loup
L’application sur le terrain du contrat d’agent n’est pas aussi facile que prévue : Ford l’a reporté en Europe à mi-2024 minimum au lieu de fin 2023, BMW procède par étape depuis le 1er janvier 2024, en démarrant avec Mini dans trois pays (Italie, Suède et Pologne) tout en s’autorisant une pause en Espagne et France (report de six mois à un an). Des décisions similaires ont été prise par Stellantis (trois reports) et Volkswagen.