
Autodoc Pro met le feu

Des tarifs imbattables et une forte présence terrain ! Le concept “phygital” du leader européen de la vente en ligne de pièces 100 % BtoB commence à sérieusement perturber le marché et déstabiliser les grossistes traditionnels, mêmes armés de leur bouclier logistique et leur panoplie de services.
Les garagistes sont taquins : envoyer à leur distributeur attitré les boîtes orange (packaging Autodoc) contenant des pièces premium facturées 30 à 70% sous les prix de la distribution traditionnelle ! « Des tarifs inaccessibles pour nous. Certains de nos clients nous soupçonnent de les voler ! C’est insupportable », s’emporte un distributeur... Car la distribution commence à dangereusement ressentir l’attaque “au bazooka” du e-commerçant allemand. Son offensive frontale fait des dégâts : sur certaines grandes marques, des pertes de commandes allant jusqu’à - 15 % sont évoquées.
Des distributeurs en quête de soutien
Impossible donc de s’aligner sur ces tarifs "indécents” pour les distributeurs qui veulent se faire entendre. Auprès de leurs fournisseurs tout d'abord. Bien que sensibles au problème, les équipementiers bottent en touche et se retranchent derrière le principe de libre concurrence. Contexte : Autodoc s’approvisionne auprès de distributeurs basés dans des pays à faibles coûts, principalement en Europe de l’Est. Les fournisseurs, et notamment ceux qui ne vendent pas en direct, n'ont donc que peu de leviers d'action. On comprend : aux distributeurs de "faire le ménage" chez eux ! Il ne faut donc pas compter sur eux pour uniformiser leur grille tarifaire au risque de se mettre hors compétition sur ces marchés à faible pouvoir d’achat.
Ces industriels rappellent également que le modèle logistique français, bien que performant, se révèle difficilement compatible avec les prix pratiqués par les acteurs du e-commerce, d’autant plus lorsqu’ils partent à la chasse aux parts de marché. L’empilement de marges tout au long de la chaîne de distribution engendre des coûts finaux bien supérieurs, que le canal digital évite.
Nombreux signaux d’alerte
Reste que ce déséquilibre structurel n’est pas nouveau. Car cela fait plus de dix ans que des signaux alertaient sur l’inévitable émergence de ce modèle web hyperagressif ! Il y a eu Originauto en 2013, sorti des radars en 2020 et ramené à son statut de catalogue électronique “made in Mobivia” ; le perturbateur Oscaro rentré dans le rang suite à son sauvetage par PHE en 2018 ; mais aussi le maîtrisé Mister-Auto, propriété de Stellantis... sachant que leur positionnement encore largement BtoC permettait de limiter les dégâts. En 2018 arrive le franc-tireur Otop qui n’a tenu que deux ans faute d’une assise financière solide.
Sauf que ce modèle BtoB, cette fois, et phygital, associant la puissance du digital et la proximité d'équipes terrains visitant les ateliers, porté par Franck Millet a su convaincre le puissant Autodoc. Autodoc Pro bénéficie ainsi dorénavant d’un soutien financier solide. Le leader européen de la vente PR en ligne annonce en effet 1,5 Md€ de CA en 2024, en croissance de 19 %, pour un EBITDA ajusté en progression de 13 %... Et la greffe française du concept pro a pris avec un atterrissage 2024 sur un CA à 68 M€ (vs 18 M€ en 2023), 19 000 garages connectés et un maillage territorial bouclé via ses 106 agents de service. Restait un point de faiblesse à compenser : une promesse de livraison à J+3 à partir de l’Allemagne qui devrait être ramenée à J+1 via le nouveau hub installé en Belgique.
Touchés mais pas coulés
Autodoc Pro serait-il donc suffisamment structuré pour que son offensive de prise de parts de marché devienne un problème pour la distribution traditionnelle ? « Plus de bruit que de volume », tempère un distributeur. Pour l’instant, le seuil de 20 % d’achats transférés vers le digital semble être un plafond. Et la distribution continue de miser sur ses atouts : livraison en H+2, pro- fondeur de stock, proximité, accompagnement technique et réactivité. Des services jugés indispensables pour les réparateurs, confrontés à une complexité croissante dans le choix des références et des technologies. « Des mauvaises habitudes données par la dis- tribution pour se protéger », rétorquent les e-commerçants. Non, une vraie valeur ajoutée, répondent les distributeurs, car en phase avec un besoin toujours plus prégnant pour les réparateurs confrontés à de la complexité en termes de références et de technologies. Ils restent donc sceptiques sur la capacité de leurs clients à abandonner le confort d’une livraison en à peine 2 heures. « Ils ne pourront jamais anticiper l’ensemble des prestations permettant d’attendre la pièce une journée, soit le délai maximum que permet la vente en ligne. »
Un business model à réinventer ?
Pas question non plus de remettre en cause un business model qui a fait ses preuves. Des tarifs trop élevés ? « C’est le coût de nos services. Nous avons certainement fait l’erreur de ne jamais les valoriser clairement auprès de nos clients réparateurs, quitte à leur offrir. » Si le coup de semonce est actuellement rude, la distribution table sur l’épuisement de “l’attaque” du e-commerçant pour revenir à un positionnement « certes agressif, mais plus raisonnable. Ne serait-ce que parce que sur la durée, il n’est pas tenable d’associer tarifs super low cost, équipes sur le terrain et investissement logistique ». Sauf qu’Autodoc ne semble pas près de ralentir : son dernier communiqué évoque un free cash-flow de 125 M€ (+ 45 % vs 2023) disponible pour sou- tenir sa stratégie de développement.
Alors ce business model “millefeuille” français, resté l’exception européenne, va-t-il tenir ? Pas de doute qu’ayant déjà prouvé sa résilience et son agilité, l’écosystème saura s’adapter. Mais certains pourraient ne pas s’en relever... En juge de paix, c’est le client réparateur qui à la main en arbitrant pour un basculement total, partiel ou ponctuel vers l’achat en ligne. Le fera-t-il au risque de perdre cet accompagnement annoncé comme vital pour absorber la mutation de la planète auto ? Reste enfin à savoir si le modèle internet sera un jour soluble dans la distribution traditionnelle...
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