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Client final : les industriels peuvent-ils enjamber distribution et réparation ?

La Rédaction
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Les industriels de l’automobile ont toujours été soucieux de garder le contrôle de leur marché et gardant un œil plus ou moins appuyé sur le client final. Quelques autres secteurs industriels y sont déjà parvenus en exploitant leurs spécificités. Dans une après-vente révolutionnée par le digital, les constructeurs y travaillent, les manufacturiers s’y essaient et les équipementiers en rêvent parfois. Mais enjamber la légitimité de proximité et de services des distributeurs et des réparateurs serait-il aussi simple ?

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Tout en haut de la chaîne de valeur, les industriels du secteur auto se sont toujours préoccupés de ne pas donner trop de pouvoir à l’aval, à savoir la distribution et la réparation, afin de rester aux commandes du marché.

En Europe, les constructeurs se sont approprié la vente VN grâce à la distribution exclusive et sélective. Les grands équipementiers ont su garder le contrôle de la pièce de rechange en réussissant à imposer leurs marques premium et leurs parts de marché grâce au référentiel des prix constructeurs. Un référentiel adopté et entretenu dans beaucoup de pays européens par l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur après-vente puisqu’ils en tirent les meilleures marges possibles. Parallèlement, les équipementiers se sont appuyés sur les distributeurs et réparateurs indépendants pour deux raisons :

  • le maintien de la force de leurs marques soutenues de fait par une rechange historiquement soucieuse de ne pas donner le plein pouvoir à des pièces dites d’origine ;
  • favoriser un canal certes bien moins volumineux que les chaînes de première monte, mais permettant de bien meilleures marges contributives au résultat du fournisseur.

Des réussites hors automobile

Dans son dernier congrès Point S, Christophe Rollet, le directeur général de l’enseigne, a d’ailleurs pu souligner par plusieurs exemples marquants que cette volonté de contrôle est consubstantielle au statut de l’industriel producteur et ce, quel que soit le secteur. Il a ainsi rappelé que le Luxe a tout simplement intégré sa distribution et ses points de vente avec une rentabilité exponentielle. Il a aussi nommé les pétroliers, dont les cinq majors détiennent 85 % de la distribution et de la vente de leurs carburants (et d'autres produits) via leurs stations-Service. Et il a rappelé que la chimie, l’aéronautique, le maritime voient leurs principaux représentants suffisamment puissants pour dicter prix et stratégies.

Et que dire des Gafam qui, en deux décennies à peine, ont révolutionné les parcours clients ? Ils se réservent la pleine maîtrise de la rentabilité d’une digitalisation qu’ils contrôlent en amont et dont ils profitent de façon exponentielle pour l’avoir rendue essentielle au fonctionnement de tous les marchés aval.

Les récents hyperprofits 2022 de tout ce petit monde (constructeurs compris) malgré les multiples vents contraires en sont l'éclatante illustration...

L’opportune digitalisation

Et c’est justement cette digitalisation qui permet maintenant aux industriels de l’auto de rêver enjamber la distribution et la réparation pour atteindre et s’approprier le client final. Poussés en ce sens par les vertigineux investissements qu’imposent les défis environnementaux, les constructeurs ont décidé de miser gros sur la vente de leurs véhicules en ligne et de réduire leurs distributeurs au simple rôle d’agents commerciaux. Ils comptent aussi tirer profit de la fantastique guerre annoncée de la data des véhicules connectés. De la mise sur le marché du véhicule jusqu’à sa fin de vie, la digitalisation peut enfin permettre aux constructeurs de capter et suivre, au mieux de leurs intérêts, le client, BtoC comme BtoB, en l’orientant vers le VN, le VO ou les ateliers de leurs choix. Car qui a la data a aussi la main sur un apport d’affaires qui permet de toucher sa dîme où que souhaite se rendre le client et son véhicule.

Tentations manufacturières

Les grands manufacturiers semblent bien emprunter une même voie. Forts eux aussi de leurs investissements monstrueux en communication BtoC, ils déploient déjà par eux-mêmes leurs propres ventes directes en ligne où ils affichent des prix de pneumatiques que même leurs distributeurs ne peuvent parfois plus atteindre ! (voir « BF, distribution, vente directe : les manufacturiers rêvent-ils de contrôle ? » ). Ils le font avec d’autant plus de conviction qu’ils ont racheté ou maintiennent sous contrôle leurs distributeurs, parfois discrètement ; et qu’ils ont parallèlement développé ou acquis des réseaux de pneumaticiens vers lesquels orienter le client acheteur du pneu en ligne.

Cet appétit rendu possible par le digital a déjà près de dix ans. Quand par exemple Michelin rachetait Allopneus en 2015. On retrouve d'ailleurs la même démarche chez Stellantis, quand le constructeur s’adjugeait Mister-Auto la même année (voir « PSA et Mister-Auto, Michelin et Allopneus : l’ère des mariages de raison(s)… ».

Les distributeurs VN poussés à l’indépendance

Mais si la guerre du client final a bel et bien commencé dans l’auto, son issue est loin d’être certaine. En voulant se réapproprier les coûts de la distribution VN, les constructeurs poussent aussi leurs distributeurs historiques à revisiter dans l’urgence leur business model. Ce faisant, ils les forcent à se réinventer et se repenser en indépendants. Après avoir longtemps considéré l’après-vente comme un mal nécessaire à la vente, les distributeurs VN comprennent que l’entretien-réparation devient vital pour eux. Surtout quand les Augures annoncent tous qu’en 2030, l’IAM détiendra 70 % du marché de l’après-vente.

Depuis plusieurs années, certains groupes VN visionnaires avaient certes commencé à s’hybrider avec des concepts de réparation indépendante souvent franchisés. Conscient du rôle de l’après-vente dans le maintien durable de la relation client, ils se diversifient maintenant dans la distribution indépendante de pièces (D’Ieteren Group avec l’européen PHE, Emil Frey France avec les distributeurs français Flauraud, puis Barrault/MGA…) et maillent leurs territoires d’enseignes multimarques capables de traquer des clients qui les quittent une fois sortis de la période de garantie et/ou des contrats d’entretien.

L’inévitable voie collaborative

Pour la pièce toujours et même si quelques fournisseurs à forte notoriété rêvent eux aussi de commercer avec le client final, ce ne peut être pour l’essentiel que par procuration : les équipementiers ne peuvent se passer du puissant schéma logistique et serviciel de la distribution indépendante. Ils s’appuient certes sur des Amazon ou des eBay et pour le BtoB pur et dur, sur des Marketparts ou sur des Autodoc Pro ; ils ont parfois été tentés de racheter des sites de vente en ligne, mais plutôt BtoB que BtoC, tels que les défunts Otop ou Originauto. Car pour l’équipementier, le vrai client final demeure le réparateur, lequel restera en symbiose avec son distributeur qui le livre, le forme et l’accompagne toujours plus financièrement, commercialement comme organisationnellement.

Parce qu’ils sont les uns comme les autres aussi puissants que légitimes, le triptyque équipementier / distributeur / réparateur indépendant, les ateliers des distributeurs VN en pleine mutation existentielle comme les industriels gourmands de domination vont devoir se partager le gâteau du client final pour une simple raison : aucun ne peut l’avaler seul.

C'est d'ailleurs le message que distillait Christophe Rollet quand il évoquait les succès ou les velléités de tant de secteurs industriels en rendant hommage à la trajectoire de croissance, de résilience et de succès des adhérents de son enseigne. Les indépendants, distributeurs comme réparateurs, ont l'agilité et la niaque des entrepreneurs, l'exclusivité d'une proximité physique chevillée au corps et un sens du service jamais démenti. Ils peuvent certes se mâtiner de digital, s'adapter aux apporteurs d'affaires d'aujourd'hui et de demain et peut-être même les subir, mais en gardant toujours l'avantage du contact direct avec leurs clients.

Parce que tous veulent la meilleure part du gâteau, les divergences d'objectifs des producteurs, des distributeurs et des réparateurs demeureront évidemment. Mais les solides bases de ces trois piliers de l’écosystème après-vente, confrontés ensemble au défi d’agilité qu’imposent l’accélération digitale, leur tracent la seule voie médiane viable : une approche nécessairement et pragmatiquement collaborative qui, si elle reste à inventer dans de multiples formes, s’ébauche déjà chez les plus clairvoyants des acteurs.

La Rédaction
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