Les relations fournisseurs-carrossiers plus complexes que jamais
Distributeurs et fabricants de peinture sont confrontés à un ensemble de phénomènes structurels et conjoncturels qui transforment leurs relations à leurs clients carrossiers. Le dernier Club de la distribution automobile de la Feda leur a permis de s’exprimer dessus.
« Il est fondamental de rappeler la valeur ajoutée du circuit long et la création de valeur que permettent les distributeurs de peinture », soulignait Alain Landec, président de la Feda, au moment d’ouvrir le CDA consacré à ce marché, le 11 avril. Car comme le souligne régulièrement le Conseil européen de la peinture et des encres (CEPE), les volumes de teinte de base ont été divisés par deux depuis 2006 alors que, dans le même temps, la valeur ajoutée créée dans le secteur a doublé.
Contexte économique à double tranchant
Une valeur ajoutée qui est cependant menacée par le contexte inflationniste, la projection 2023 faisant état d’une inflation de 4 à 4,5 % par rapport aux 5,2 % de 2022. Des tendances qui contribuent à ralentir les intentions d’embauche dans le secteur et réduisent à 0 % les créations nettes d’emplois, en ce qui concerne les prévisions pour l’année en cours. Et ce, alors même que la distribution de carrosserie peinture enregistre des niveaux de croissance à deux chiffres depuis cinq trimestres. Et qu’au T4 2022, le niveau d’activité sur ce segment était supérieur de 23 % à son niveau de 2018, selon le baromètre Feda/Xerfi, bien qu’une grosse partie de cette croissance soit due à l’inflation.
Toutefois, « L’activité peinture-carrosserie des réparateurs auto conserve l’allure de la fin d’année 2022, avec un premier bimestre 2023 conclu en hausse de 6% (+4,8% en tendance) », confirme Alexandre Masure, directeur des opérations de Xerfi. Même si ce sont les concessionnaires (+7 %) et les carrossiers de plus de trois peintres (+6 %) qui progressent le plus, contre seulement +4 % chez les carrossiers employant moins de trois peintres. Preuve qu’il y a encore de la valeur créée dans le secteur malgré les hausses de coût des ingrédients de peinture (+7,4 %), des pièces (+9,6 %) et de l’énergie selon Sécurité & réparation automobiles (SRA). « Pour un carrossier qui ne faisait pas attention à la dépense d’énergie avant la crise inflationniste, le coût d’un cycle cabine était de 15 à 16 € en moyenne. Aujourd’hui, il monte à 80 € voire plus », souligne Damien Bontemps, responsable national des ventes carrosserie d’Autodistribution.
Montée en puissance des spécialistes
Des circonstances économiques qui conduisent les réparateurs à chercher, pour certains, l’économie par l’usage de produits, d’équipements de pointe et de solutions digitales dernier cri à même d’améliorer leur productivité, tel le CO2eRepairCalculator d’AkzoNobel pour mesurer les économies de CO2, Drivus et ses diverses fonctionnalités chez Axalta ou CarManager pour les carrossiers les plus structurés chez Lechler. Pour d’autres, l’économie par l’achat de produits à bas prix, souvent venus du web. « Or, la valeur ajoutée d’un distributeur de peinture tient dans le service et la formation, notamment », témoigne Nicolas Demoulin, dirigeant d’Antonin, distributeur Précisium Color à Graulhet (31). Des piliers de l’activité de spécialiste peinture qui les obligent à se mettre constamment à jour et à revoir leurs process pour coller aux besoins des véhicules les plus récents, dont les teintes peuvent être complexes.
« 100 % de nos clients sont connectés à nos outils mais aujourd’hui, pour couvrir les besoins de cent carrossiers, il faut au minimum deux techniciens peinture. Et même si le métier se digitalise, le spectrophotomètre, comme tout appareil de mesure, nécessite une interprétation », ajoute Nicolas Demoulin. Le soutien des distributeurs se manifeste dans l’ensemble de l’activité du carrossier, jusqu’à la gestion de son poste peinture. Contrairement à par le passé, « nous avons de plus en plus de vrais chefs d’entreprise en face de nous, qui nous réclament des KPI, des indicateurs de performance, de productivité, d’économie liée à l’utilisation des produits », détaille Philippe Porro, dirigeant de Dauphiné Peinture Diffusion à Echirolles (38), fraîchement vendu à EPS Peinture.
Des services qui valent le coût
Président d’EPS, justement, Eric Mallen rappelle le lien puissant qui existe entre le distributeur et son fournisseur de peinture premium. « Nous sommes tous accompagnés au quotidien de façon plus ou moins forte par les fabricants, mais installer de nouveaux carrossiers coûte de 12 à 15 000 € en moyenne, hors aide financière des marques. Mais il faut ensuite fournir les pistolets nécessaires à l’application et veiller à la maintenance des machines, ce qui nécessite une surface financière bien plus importante qu’auparavant. Ce dont nos concurrents du web n’ont pas autant besoin. » En outre, les acteurs de la distribution déplorent le millefeuille de commissions accordées par les fabricants de peinture en France, qui créent un coût plus important pour les distributeurs physiques, alors que les pure players du net se fournissent pour beaucoup en Europe de l’Est ou la structure du marché est plus claire.
Néanmoins, le niveau de suivi qu’offrent les distributeurs, en collaboration avec les fabricants, les sites de vente en ligne ne peuvent pas le fournir. Et il justifie notamment le prix du pot de peinture « car nous supportons énormément de coûts de nos clients », reconnaît Régis Napoleone, directeur du développement carrosserie d’Alliance Automotive Group. Mais un prix global qui pourrait être détaillé pour que les carrossiers en constatent la réalité. Ce qu’Antonin fait depuis plusieurs mois en offrant une remise de la totalité pour que l’ensemble des services restent gratuits au final. Le niveau d’investissements et de services exigés des distributeurs peintures a donc conduit la commission dédiée de la Feda à créer le label Color+ pour certifier leur valeur ajoutée, décerné depuis 2019.
Le point de rupture proche ?
« Le distributeur apporte au carrossier le bon produit mais aussi le matériel adapté, l’accompagnement technique et la promesse de générer du chiffre d’affaires et de la rentabilité. Et pour les carrossiers qui ne sont pas prêts à payer de tels services, nous avons toujours notre marque Syrox, qui nous permet de toucher des réparateurs qui étaient auparavant en-dehors de notre cible », reconnaît Yves Valor, directeur des ventes indirectes France d’Axalta. Pour Emmanuel Delorme, directeur des ventes France de Lechler, « la distorsion est de plus en plus forte et l’on ne pourra bientôt plus faire entrer dans ke prix du produit tous les services rendus, compte tenu de la baisse des volumes de produits de peinture, qui se poursuit ; il serait donc légitime qu’un certain nombre d’offres soit facturées ».
PPG, qui n’a pas de structure de distribution en propre, a lancé en mars son système Linq pour digitaliser et fiabiliser encore plus le poste peinture. « Et nous le facturons sous forme de souscription via nos distributeurs », détaille Arnaud Racapé, directeur marketing Europe du Sud de PPG. Or, depuis deux ans, les prix des ingrédients peinture ont bondi de 25 % à 30 %. Et l’attrait des vendeurs en ligne s’est amplifié, profitant de la structure des marchés d’Europe de l’Est où ils sourcent les produits premium. Mais Yves Valor est confiant : « le marché va se réguler lui-même car il y aura toujours des carrossiers à haut niveau de service, qui voudront viser plus haut et respecteront le contrat passé avec leur marque premium ».